La présence marocaine est ancienne et appréciée au Sénégal, basée à la fois sur le commerce et la religion. Depuis peu, on voit se dessiner aussi un flux touristique marocain vers Dakar, Saint-Louis ou Ziguinchor.
Certains de ces nouveaux voyageurs ont découvert là-bas un sport inconnu au Maghreb, populaire, nature et offrant des sensations que le foot, bien des fois usé jusqu’à la corde, répétitif et frelaté, ne donne plus à ses fans. Un ancien partisan du Raja, de retour de Dakar, confiait: «Aux arènes Adrien-Senghor, car la lutte sénégalaise se déroule dans une arène, comme la corrida espagnole, j’ai vu une des plus belles exhibitions sportives de ma vie. Et croyez-moi, c’est du sport, du vrai ! Sans combines!»
Un journal dédié à ce sport
Mon interlocuteur agitait un numéro du journal dakarois Sounoulamb, presque entièrement consacré aux lutteurs et où d’éloquentes photos montrent des champions de cette discipline plaquant au sol leur adversaire, ce qui est l’enjeu final de ce pugilat sportif, né il y a plus de cinq siècles, dit-on, dans un Sénégal ne connaissant encore ni le coranisateur arabe, ni le colon européen. Oui, je sais, l’Occident a illustré de très longue date la lutte gréco-romaine aux Jeux Olympiques, remis en honneur par le baron de Coubertin; et de nos jours, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Inde (etc.), pratiquent d’authentiques formes de luttes, très suivies par la population masculine de ces Etats asiatiques.
Nombreuses spectatrices
Au Sénégal, les femmes, avec quelquefois un bébé au sein ou attaché dans leur dos, assistent également aux rencontres de lutte, regroupées sur une partie des gradins, à l’abri de l’agitation bruyante des jeunes gens. Chez ces derniers, chaque lutteur célèbre ou prometteur est longuement ovationné; on parie sur sa performance; on l’attend à la sortie pour lui serrer la main ou toucher son pagne.
A même le sable dans l'arène
La plupart de ces sportifs sont des montagnes de muscles, mais conservent néanmoins une silhouette de statue antique, contrairement aux pratiquants du Sumo au Japon, souvent difformes. Les lutteurs sénégalais se présentent dans la lice vêtus seulement d’un slip traditionnel bien rembourré… Leur combat se déroule à même le sable, comme dans la Rome impériale, développant une force sans violence, sans coups fatals comme, hélas, on peut en voir dans la boxe.
Irruption du «Lion blanc»
Toujours est-il que les «Lions» footbalistiques ont été peu à peu détrônés, au Sénégal, par les «Lions noirs» de la lutte traditionnelle. Et à leur tour, provisoirement sans doute, mais spectaculairement, les médaillés africains comme Ndao, Bala-Gaye ou Khérou-Ngor, ont été supplantés, dans l’arène et dans au moins une partie du coeur des spectateurs, par le «Lion blanc». Un vrai blanc au teint très mat, mesurant 1m95 et pesant 145 kilos, nommé Juan Espino, et venu de l’archipel espagnol voisin des Canaries. Fils d’un multisportif hispanique, Espino s’est «sénégalisé» au point d’avoir, lui aussi, comme ses adversaires autochtones, un marabout protecteur…A l’heure où j’écris ces lignes, le Canarien reste encore invaincu au Sénégal.
Avis du sociologue
Jean-François Havard, de l’Institut des mondes africains, estime, lui, que les lutteurs, contrairement aux footballeurs locaux, souvent décevants et mal rémunérés, offrent désormais aux jeunes costauds sénégalais «un modèle de réussite auquel ils peuvent s’identifier. Ils vivent au milieu de leurs fans et assument leur sénégalité de façon décomplexée». (Magazine «Six-Mois». Le XXI° siècle en images. Paris. Imprimé en Allemagne. N°12, 2016-2017).