Il faut le dire et le répéter, il existe en Arabie saoudite ni plus ni moins qu’un système d’apartheid. Celui-ci n’est pas basé sur la race, comme c’était le cas en Afrique du Sud, il n’est pas basé sur la religion, comme dans les tristement célèbres pogroms où étaient enfermés les juifs des pays de l’Est, mais sur le genre. Dans le royaume des Saoud, la femme est traitée comme un être inférieur, éternellement mineur.
Interdiction de conduire, de voyager, de travailler, de faire quoi que ce soit sans l’assentiment préalable d’un homme. Les femmes ont besoin d’un tuteur même pour se faire soigner et se doter d’une carte d’identité ou d’un passeport. Et ce qui ne cessera jamais de m’étonner c’est finalement le peu de cas que l’on fait de cette situation d’apartheid.
Car je suis persuadée que s’il s’agissait d’une religion ou d’une ethnie discriminée, les Occidentaux et toute l’opinion internationale seraient outrés. Mais là, il s’agit des femmes, et on préfère considérer que cette discrimination est une forme d’exotisme dans ce pays désertique, où perdurent les mœurs bédouines.
«Bien sûr c’est choquant» nous disent les dirigeants. «C’est très mal», répètent hommes et femmes politiques. Mais enfin, ça n’empêche personne de négocier avec le plus grand producteur de pétrole au monde.
Depuis quelques semaines, Aziza Youssef, une militante saoudienne, a annoncé avoir recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures pour une pétition réclamant que les 10 millions de femmes du royaume soient enfin traitées comme «des citoyens à part entière» et que soit fixé «un âge à partir duquel elles sont adultes et responsables de leurs propres actes».
La pétition a été envoyée par mail au cabinet du roi Salmane mais les activistes ne se font pas d’illusions: la condition féminine dans le royaume des Saoud ne changera pas en un clic. Reste qu’internet et en particulier les réseaux sociaux ont profondément modifié le visage du militantisme saoudien.
C’est sur la toile que la campagne «Women to drive», (traduisez : «les femmes au volant !») avait pris son élan. Souvenez vous: en 2013, des Saoudiennes ont défié le pouvoir et ont pris le volant, le temps d’une journée, le 26 octobre, restée une date anniversaire fondatrice pour le mouvement. Les militantes étaient invitées à conduire individuellement puis à poster une photo ou une vidéo d’elles en action sur les réseaux sociaux.
Deux d’entre elles avaient été arrêtées et jetées en prison pendant plusieurs mois et à leur sortie, c’est sur Facebook et Twitter qu’elles ont exprimé leur joie et leur désir de continuer le combat, passant outre les interdictions de se rassembler ou de manifester imposées par le royaume wahhabite.
Je me souviens aussi que c’est à cette époque que le comédien saoudien Hisham Fageeh a publié sur YouTube son tube «No Woman, No Drive», parodie de la célèbre chanson de Bob Marley. Vue 3,5 millions de vues, cette chanson est venue apporter son soutien aux militantes qui ont eu le courage de sortir dans la rue.
Le chanteur y dénonce les arguments absurdes des autorités comme celui de cet imam saoudien qui prétend que la conduite détruit les ovaires: «Je me souviens quand tu t’asseyais dans la voiture familiale, mais à l’arrière. Tes ovaires sains et en sécurité, pour que tu puisses faire plein de bébés».
On me demande souvent si je suis féministe. Et j’ai parfois l’impression qu’on utilise ce mot avec des pincettes, comme si on avait peur de me vexer, comme si le féminisme était une maladie honteuse. Bien sûr que je suis féministe! Comment ne pas l’être? Quand on sait que le simple fait d’être une femme fait de nous les potentielles victimes de violences, d’agressions sexuelles, de harcèlement, voire de meurtre dans de nombreux pays du monde où le féminicide est une réalité de masse.
Comment ne pas l’être alors que notre simple identité sexuelle justifie que nous soyons moins payées, moins promues, moins représentées dans les hautes sphères politiques, économiques ou culturelles? Et je regrette souvent qu’on ne pose cette question qu’aux femmes.
On me demande si je suis féministe en sous entendant: «est ce que le sort de vos sœurs vous importent?». Mais pourquoi pose-t-on si rarement cette question aux hommes? Pourquoi ne parle-t-on pas avec eux du sort des femmes? Car j’en connais des hommes qui auraient des choses à dire sur ce sujet! Des hommes courageux qui défendent la dignité des femmes et leur droit à investir l’espace public sans être constamment harcelées.
Je me souviens qu’en Egypte par exemple, j’avais interviewé des hommes qui avaient créé une association pour venir en aide aux femmes harcelées dans la rue. Ils faisaient rempart dans les transports en commun ou alors jetaient de la peinture sur celui qui agressait une fille dans la rue. En Inde, le même type d’associations existe.
Il faut parler de féminisme avec les hommes ; il faut qu’ils soient pleinement conscients de l’immense et fondamental travail à accomplir. Il faut, surtout, qu’ils élèvent leurs petits garçons et leurs petites filles avec ce profond souci d’égalité. Apprendre à leur garçon qu’il peut être autre chose qu’un dominant ou un prédateur. Dire à leur fille qu’elles n’ont pas à être des proies, à se taire ou à raser les murs. Cette révolution culturelle se fera avec les hommes, j’en suis convaincue. Alors, féministe?