Je n'ai rien contre l'armée, au contraire, mais, en temps de paix je préfère quand même l'excursion champêtre à l’entraînement militaire et la fréquentation d'une bonne bibliothèque à la formation de jeunes recrues…
En 1965, trois ans après l’indépendance algérienne, je fus donc l’un des premiers (ce qui me valut à la caserne de Toulon le sobriquet pas franchement amical de « Ben-Bella »…) à candidater pour accomplir mes « 18-mois », dus à l'époque au drapeau tricolore, en Algérie, à titre civil. Frais émoulu de Sciences-po Paris, je fus donc bombardé par le gouvernement du vrai Ben-Bella, administrateur au ministère de l'Agriculture et de la Réforme agraire, alors dirigé par un certain Ali Mahsas, connu pour son côté « ours » …
Je n'eus guère le temps de vérifier cette réputation car, à peine étais-je au travail, que les rues algéroises, un beau matin se couvrirent de chars, camions et soldats. La fille de l'ambassadeur de Turquie, lequel passait pour bien informé, me rassura : « Papa dit que c'est le cinéaste Pontecorvo qui tourne un film en ville sur la Bataille d'Alger » – un long métrage relatant la reprise de la Casbah d'Alger, en 1956, par les parachutistes français, était effectivement prévu.
On sut très vite, avant midi, que les chars étaient ceux du redouté colonel Boumédienne, lancés contre le président Ben-Bella. Celui-ci fut mis au secret dans une villa pied-noir et son pouvoir brouillon mais populaire remplacé par un opaque « Conseil de la Révolution ». Alger entra en hibernation. Mon ministre disparut. Je fus muté au Bureau national des statistiques, moi qui n'ai jamais vraiment su la table de multiplication … Le climat n'était pas à la protestation, surtout de la part d'un « gaouri », fils de l'ex-puissance coloniale …
Allah merci, on me confia une dizaine de jeunes stagiaires administratifs pour dresser avec eux la carte de l'Algérie indépendante industrielle. Une Algérie immense s'ouvrait à nous, du Sahel au Hoggar, de l'Atlas au Sahara pétrolier. Je me lançai avec enthousiasme dans ce travail itinérant, à travers un territoire à la nature magnifique, qui plus est rempli de traces historiques, y compris celles de mon propre peuple, resté 132 ans en Algérie. Je nouai des relations fructueuses avec mes subordonnés, enchantés, eux de découvrir leur propre pays. Et en avant ! (A suivre la semaine prochaine).
Prochain épisode: une police politique omniprésente