Ayant connu la Tunisie de la douceur de vivre, de la sécurité quasi assurée, des succès touristiques et des chauds encouragements du Fonds monétaire international, ce n’est pas de gaité de cœur qu’en 2015, sur la foi de témoignages concordants, j’avais ici même brossé un tableau d’une Tunisie « apocalyptique ». Cela me fut reproché par certains de ces intellos « parisiens » qui pratiquent volontiers le déni de réalité…
Je ne suis pas retourné récemment au pays du Jasmin mais j’ai recueilli derechef des témoignages dignes de foi sur l’actualité tunisienne présente qui m’ont malheureusement ramené deux ans en arrière : le vaillant président nonagénaire Beji Caïd Esselin, obligé en janvier, d’interrompre une tournée en province à cause de violentes manifs ; un rapport parlementaire français, révélé par Jeune Afrique, soulignant «l’extrême fragilité» du régime et la «très grande tension sociale».
Diplomate et théologien
Heureusement sur ce fond peu encourageant, j’ai découvert les réflexions, émises sans tambour ni trompette, depuis l’an 2000, sur son pays, par Mezri Haddad. Né en 1961, ce fils d’un syndicaliste, fut ambassadeur de Tunisie près l’Unesco et le premier musulman à être reconnu par l’Université française comme maître de conférence en théologie catholique.
Il fut proche de feu le penseur algérien Mohamed Arkoun et un temps de l’opposant et futur chef d’Etat tunisien Moncef Marzouki (avec lequel il se brouilla ensuite). Mezri Haddad a développé solitairement une pensée originale, lucide, indépendante, opposée au « politiquement correct », une pensée pleinement séculière mais prenant néanmoins en compte la force de la foi et de la religiosité. Quand le moment de la reconstruction politique et intellectuelle de la Tunisie viendra, les réflexions, les jugements, les angles d’attaque de Mezri Haddad seront peut-être très utiles.
Amis suiveurs, jugez par vous-mêmes à travers ce choix de citations !
Quelques jugements « osés » de Mezri Haddad
«Le président Ben Ali, en janvier 2011, n’a pas fui la Tunisie. Il en a été cordialement expulsé par des factieux au sein de l’armée à qui certains services étrangers avaient fait miroiter le trône de César poignardé. Deux jours avant l’expédition de Ben Ali à Djeddah, Hillary Clinton déclarait à Doha (Qatar): il faut aider Ben Ali à partir!»
«Au peuple tunisien on a servi une soupe démocratique, des «droits subjectifs» à défaut de pain, logement et travail, principales revendications de la révolte sociale. Les gauchistes ont vite oublié les «droits objectifs» (économiques et sociaux), chers à leur prophète Marx.»
«En dépit ou plutôt en raison du despotisme éclairé de Bourguiba et de l’autoritarisme de Ben Ali, la Tunisie fut un pays sécularisé, sécurisé, tolérant, socialement policé et économiquement prospère. [Aujourd’hui], il est tchadorisé, fragilisé sur le plan sécuritaire et économiquement ruiné.»
«L’influence des islamistes [en Tunisie] n’a jamais été aussi grande. Ils ont partiellement quitté le gouvernement mais pas le pouvoir.»
«En 2011, des intellectuels, des journalistes, des droits-de-l’hommistes et autres «printologues (1)» bénissaient ces révoltes et annonçaient la naissance d’un homo-arabicus démocrate et civilisé. Par un caprice de l’Histoire, c’est un homo-islamicus qui est né, y compris en France.»
(1) Néologisme ironique forgé par Mezri Haddad pour qualifier les «spécialistes» auto-proclamés, notamment occidentaux, d’un «Printemps arabe» ayant tourné en plusieurs endroits à la «glaciation djihadiste».
Quelques ouvrages à consulter
Président Béji Caïd Essebsi, Tunisie, la démocratie en terre d’Islam, Plon, Paris, 2016.
Président Moncef Marzouki, Arabes, si vous parliez…, Africorient, Casablanca, 2012, (1ere édition : Lieu commun, Paris, 1987).
Sous la plume de Mezri Haddad
La face cachée de la Révolution tunisienne, Arabesques, Tunis, 2011.Islam et athéisme, dans Rétrospective, Eska, Montréal, Canada, 2000.Le fascisme vert, Le Monde, 25 avril 2009, Paris.
Articles :
Le politique est coupable, pas le religieux, dans L’islam est-il rebelle à la libre critique?, Corlet-Marianne, Paris, 2001.
Le wahabisme, négation de l’Islam, Libération, 21 avril 2008, Paris.
Le marchand de tapis et la striptiseuse, Libération, 31 décembre 2004, Paris.