C’était il y a cinq ou six ans dans l'espace des pas perdus de l’Institut français de Casablanca. Je m’y trouvais en compagnie d'un fameux psychanalyste et essayiste marocain, le docteur Rouchdi Chamcham (1), qui m’y présenta l'une de ses connaissances françaises, l’essayiste Michel Onfray, spécialiste de l’athéisme ou, plutôt, selon sa propre formulation, de l’«athéologie».
Changement de thème
Il nous précisa qu’il était venu à Casa pour «s’y adresser à des étudiants». Pour leur parler de quoi? «D’athéologie», nous répondit-il, ce qui me conduisit à lui dire que l’athéisme n’était pas du tout bien vu par le Maroc officiel ou populaire. Pas de réaction de sa part, si ce n’est une moue dubitative, mais rencontrant quelque temps plus tard l'un des étudiants ayant assisté à la conférence de M. Onfray, il m’apprit que ce dernier avait finalement parlé d’une autre de ces spécialités: «l’art de jouir», bref «l’hédonisme»…
Une place à part
Se définissant lui-même, dans ses écrits, comme «d’aucun sérail, d’aucune coterie, d’aucune tribu», Michel Onfray occupe, il est vrai, depuis bientôt vingt ans une place à part au sein de l’intelligentsia de l’Hexagone: issu d’un milieu populaire et provincial, en Normandie, il a créé avec succès dans cette province industrielle et agricole, une «université gratuite», ouverte à tous et très courue. Regardé de haut à Paris par la «gauche caviar» mais ayant conquis de très nombreux lecteurs ou auditeurs grâce à ses textes ou émissions non-conformistes sur Albert Camus, Nietzsche, les Freudiens, les Libertins, il est peu à peu devenu, comme on dit, «incontournable». Il faut ajouter qu’il est avenant, qu’il sait parler, qu’il est rarement ennuyeux, et puis, il y a eu un phénomène de mode, drainant même des intellos très parisiens vers les percutants cours publics du «Maître» en sa bonne ville de Caen, un lieu peu «branché» jusqu’ici…
Près de cent volumes…
Suivant une tendance de plus en plus marquée de l’édition française actuelle, Onfray l’athée militant, l’hédoniste proclamé s’est donc mis à publier sur les religions, notamment sur les deux principales fois révélées: le christianisme et l’islam. La bibliographie de cet auteur relativement jeune encore (il est né en 1959) frise déjà la centaine de volumes. Pour nos suiveurs, nous avons sélectionné quelques définitions très «onfreïennes», extraites notamment de trois ou quatre de ses plus récents entretiens ou essais, par exemple Décadence. De Jésus à Ben Laden, vie et mort de l’Occident (Flammarion, Paris) et Penser l’Islam (Grasset, Paris).
Du Vatican à Israël
«Le Concile Vatican-II (réputé avoir «modernisé» l’Eglise) a évacué la transcendance et le sacré, pour confiner le catholicisme dans un moralisme politiquement correct».
«Une civilisation vit tant qu’elle résiste à ce qui veut sa mort».
«Le catholicisme triomphe médiatiquement parce que le pape François sait en user, en jésuite, mais (…) le catholicisme est épuisé»
«La France blanche et catholique va vers sa disparition»
«Si d’aventure un Mélenchon ou une Marine Le Pen arrivaient au pouvoir pour mener une autre politique, ils auraient le même destin que Tsipras et Syriza [en Grèce]»
«L’Islam bénéficie d’un jugement favorable: la fameuse religion de paix, de tolérance et d’amour…»
«Si les droits de l’homme étaient la véritable raison des attaques françaises, [contre les jihadistes], pourquoi n’attaquerions-nous pas (…) la Chine, Cuba, l’Arabie, l’Iran, le Pakistan ? ou même les Etats-Unis sinon Israël…
De l'Irak à la Libye
«Le droit d’ingérence, théorisé par (le ministre français) Kouchner, permet à l’Occident de continuer sa politique impérialiste sans en avoir l’air».
«Nous avons bombardé des pays musulmans qui ne nous menaçaient pas directement: Irak, Afghanistan, Libye, Mali aujourd’hui, l’Etat Islamique».
«La plupart des intellectuels (occidentaux) ayant pignon sur rue ont soutenu les guerres quand ils ne les ont pas voulues; je songe au terrible rôle de Bernard-Henry Lévy (philosophe parisien ayant poussé le président Sarkosy à intervenir en Libye pour y éliminer Kadhafi)».
«Islamophobe au-dehors la France est islamophile au-dedans».
«Aujourd’hui l’Islam est une religion exponentielle, en pleine forme, forte de ce que Nietzsche appelait «la grande santé».
«Islamophobe renvoie, par le suffixe «phobe» à la peur: avoir peur de l’islam n’est pas le détester (…) Est-ce être islamophobe que de préférer la paix à la guerre ?
Conclusion provisoire
Comme le montrent éloquemment les citations ci-dessus, Michel Onfray ne redoute ni les paradoxes, ni les oxymores, ni de bousculer maintes idées présentement dominantes…
(1) Auteur d’essais marquants sur La psychanalyse au Maroc (Eddif, Casablanca) et La circoncision au Maroc (Afrique-Orient)