Oui, je le confesse, je n’aurais peut-être jamais dû, mais je suis allé avec un préjugé favorable, très, trop favorable visionner « la Marche Verte », film de ce jeune créateur polyvalent du Septième Art maghrébin. D’abord le sujet : le génial coup de poker diplomatico-militaire du roi Hassan II, en 1975, pour récupérer la part saharienne du Royaume ; ensuite les qualités de cinéaste, vantées partout au Maroc, de Youssef Britel, surtout à propos de son film « Chaibia, paysanne de l’Art » (2015), film que je n’ai pas encore vu mais, en revanche, j’avais en tête un excellent souvenir des « Jardins de Samira » (2007), œuvre, certes de Latif Lahlou, mais où Youssef Britel, acteur, donne ses lettres de noblesse à la figure du jeune cousin pauvre, souffre-douleur de la maison, humble et sensible, joué sans larmoyance ni cabotinage. Bravo l’artiste ! Ensuite, en ces « Jardins », le brave gars trouve sa rédemption érotique provisoire dans les bras de son attirante et jeune patronne délaissée par son incapable d’époux. Le tout composé avec le ton juste.
Bien à tort, je m’étais dit : avec un tel talent d’acteur, on en retrouvera sûrement quelque chose dans le metteur en scène, ce Britel doit être une bête de cinéma, devant ou derrière la caméra. Eh ! bien je me suis trompé. Oh ! certes, et le sujet épique s’y prêtait, il y a dans cette « Marche Verte » à la Britel des scènes de foule rondement menées, bien restituées, avec même parfois un certain souffle historique. Les 1300 figurants, les 380 tentes, les milliers de drapeaux chérifiens ont dans l’ensemble été bien employés.
Mais le film lui-même, quelle déception ! Un trop joli assortiment des profils « politiquement corrects » de notre époque, édifiant jusqu’à l’écoeurement : la veuve modèle qui tient à accoucher pendant la Marche (et on nous inflige même deux fois la scène car une première fois le nouveau-né ne veut pas sortir … Pitié !) ; la jeune Espagnole naturellement antifranquiste ; le Juif marocain sympa, forcément sympa et ultrapatriote ; le voleur et le tricheur qui s’amendent en marchant bien sûr et même les deux frères rivaux qui se réconcilient dans les larmes. Et pour couronner le tout, si j’ose dire, un Gabonais comique tombé du ciel et qui vient sentencieusement prédire - en 1975 - un grand avenir africain au Maroc… Bref, un catalogue de la bienpensance ! Pas étonnant, me dit un cinéphile marocain, le scénario est dû à un Européen qui a dû amener avec lui la quintessence du « penser convenable » en Occident …
Eh ! bien justement, c’était à Britel, maître à bord, de limiter cette invasion de la sous-pensée européenne, assortie de quelques petites idées reçues maghrébines. Evidemment, la Marche des 350.000 volontaires ne pouvait pas à elle seule faire un film, il fallait y ajouter quelques cas individuels, mais pas cette palanquée de profils méritants qui fichent presque tout le long métrage par terre. Quelles figures fallait-il mettre alors ? Je ne sais pas, je ne suis pas scénariste.
En sortant, je pensais avec nostalgie à d’autres pièces ou films « héroïques », inspirés au XXe siècle par l’Histoire du Maroc à des créateurs locaux, en particulier au Tayeb Sadiki (1939-2016) de la grande époque de ses « Moulay Ismaïl », « la bataille des Trois-Rois », ou encore et surtout, justement, « la Marche Verte » ou « Massiratouna ». L’éminent, l’inoubliable, l’exemplaire acteur-dramaturge-metteur en scène disparu cette année a donc encore bien des enseignements artistiques à donner aux nouveaux venus type Youssef Britel.