Bridge moqueur

F. Pomel

ChroniqueDu pétrole, du gaz, au Maroc? Eh oui… Et c’est le Royaume de Sa Gracieuse Majesté qui, post-Brexit, les explorera.

Le 05/08/2021 à 11h02

A Rabat, à la fin de l’année 2000, dans un appartement d’un immeuble vieillot, en face de la wilaya… Il se gaussait, sur notre canapé en cuir acheté d’occasion de chez un professeur de médecine, cousin d’une relative à lui, et à cette époque-là déjà un ponte, épidémiologiste de son état (putain de merde, il y a de quoi jurer, alors que nous sommes en pleine pandémie, en cette covidienne année 2021, mais voilà que je m’égare dès l’abord).

Bon, je me reprends: il se gaussait, donc, en cette fin de 2000, en mettant une main finale à sa toute dernière «investigation», pour le compte d’un magazine international, dans laquelle il remettait en cause l’idée même d’une exploration pétrolière à Talsint, dans l’Oriental.

Le titre du texte que je vous sers ce jeudi est d’ailleurs malicieusement pompé de celui qu’il avait alors choisi, et que retinrent les fourches caudines de l’implacable secrétariat de rédaction de ce magazine parisien.

Le pire, c’est que sa prose, j’avais refusé de la lire, alors que le numéro du magazine, une fois imprimé et distribué, avait longuement traîné sur la table basse. Pas lu. Même après le scandale (toutes proportions gardées, dans un petit cercle restreint de happy fews) qu’il fit, en véritable tueur médiatique qu’il est, bien qu’il se soit aujourd’hui rangé des voitures, et ait adopté un autre métier, connexe.

L’instinct, c’est juste un truc fou. Oui, j’avais refusé de lire cette «enquête», sur le scandale dit «de Talsint», tout près de la frontière algérienne, laquelle lui avait pourtant valu, au téléphone, des mots terribles de la part de certaines de ses parties prenantes.

J’avais, de la même manière, un peu plus tôt au cours de cette même année 2000, refusé de lire un article phare de Time magazine sur le Maroc, sur lequel Mohammed VI, 36 ans alors, figurait pourtant en couv’.

A cette époque-là, «The King of Cool», je le regardais vaguement, zéro jugement pré-établi, j’ouvrais grand mes oreilles, mais je n’en savais rien, ou pas grand-chose, de ce Roi qui venait d’être intronisé…

«Grey muscle shirt»… «Devilishly twinkling eyes»… J’avais vaguement parcouru l’amorce du Time, puis instinctivement refusé –Dieu, Seul, savait alors pourquoi– toute idée préconçue sur mon Roi, et m’étais arrêtée là dans ma lecture de cet article.

Ce n’est qu’aujourd’hui que je comprends la raison pour laquelle j’avais d’instinct refusé de le lire in extenso, ce portrait du Time qui avait pourtant fait grand bruit. Je ne l’avais pas fait, alors que l’occasion de lire cet article s’était présentée à de nombreuses reprises, car ce désormais très vieux numéro du magazine new-yorkais figura au moins, selon mes souvenirs, sur deux tables basses que je fréquentais alors. 

Hors de question, et j’en comprends la raison à présent, de me laisser littéralement bouffer le cerveau par des tueurs médiatiques. Time? Ce fut non.

Trucmuche qui écrivit son enquête, fin 2000, pieds nus, sur le canapé de l’épidémiologiste, fleurant bon le cuir? Ce fut non, là aussi.

En cette atroce année 2021, où je suis contrainte de me masquer pour sortir, j’ai hoché la tête, à cette annonce explosive que fit, hier, Le360. Du pétrole, du gaz, en énormes quantités, dans le sous-sol du Maroc.

Oui, vingt-et-un ans plus tard, je me rends compte que j’ai eu raison de refuser de les lire, ces deux journalistes des débuts des années 2000.

Aujourd’hui, je peux découvrir en toute fraîcheur que des Anglais vont, Brexit entériné, explorer nos ressources pétrolifères et gazières (je pourrais aussi bien écrire «gazeuses», cela ne changera rien à mon propos). 

Car entendons-nous bien et je crois que vous l’avez déjà compris: je suis fondamentalement inculte, très consciente de l’être. Aucune notion de géopolitique, encore moins de géostratégie. Quant aux relations internationales, alors là, j’y vais carrément au feeling, sûre de mon bon droit, et en me disant qu’un certain monde libre, dans les idées duquel j’ai été éduquée, devrait comprendre un peu mieux ce que nous sommes.

Et puis je me marre un bon coup. Car évidemment, ni les gisements en pétrole, ni ceux en gaz, ne se sont brutalement arrêtés, à la décolonisation, aux frontières tracées au cordeau par le «protecteur» français, dans notre première moitié nord, et par le «colon» espagnol, dans notre autre moitié sud.

Et voilà qu’aujourd’hui, le monde finit par s’entendre sur le fait qu’il y a, eh oui, bel et bien des hydrocarbures dans le sous-sol du Maroc, n’en déplaise à Trucmuche (oui, tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables, et ton silence n’y pourra rien)…

…Et que certains esprits chagrins finissent par se rendre compte que notre Roi, que cela plaise à Time ou non, n’est vraiment pas ce monarque superficiel que son journaliste vedette d’alors avait voulu présenter. 

Le Roi du Maroc avait alors voulu aller vite, très vite, un an à peine après être monté sur le trône. Puis, géostratégie, relations internationales ou que sais-je, et fichtre je n’en sais rien, a dû pianoter sur son accoudoir. Patiemment attendre.

Aujourd’hui, nous réalisons (certains le savent déjà pertinemment) que notre Maroc est potentiellement très riche. En pétrole, en gaz, et certes, nous en exploiterons ce qu’il nous sera accordé d’exploiter, tel un découvert bancaire sur le crédit que nous accorde encore notre planète Terre, qui, hausse d’un degré Celsius après l’autre, nous déclare cependant à quel point nous, humains, avec nos activités polluantes, l’emmerdons.

Mais voilà, il y a eu aussi, au Maroc, ces autres décisions anticipatrices du règne de Mohammed VI: les stations solaires Noor I, Noor II… Et puis le parc éolien de Khnifiss, que j’ai vu de mes yeux, celui de Midelt… Tout cela, le Maroc l’a décidé, et sur cela, notre bonne vieille Terre, aujourd’hui bien meurtrie, n’y trouvera rien à redire.

Mohammed VI fait, au cours de son règne, un pari sur l’avenir. Il avait décidé, en king très pressé, en cette année 2000-là, de jeter aux orties ses cours de relations internationales (ou de géostratégie? Je ne sais pas, vous me corrigerez).

Le voici, en cette année 2021, conforté dans sa première intuition qui avait vingt ans d’avance, n’en déplaise à pieds-nus-sur-son-canapé-qu’il-a-ensuite-récupéré, sur des gisements en pétrole (ou en gaz, ou les deux?) bel et bien existants, lesquels seront, dans un premier temps, la communauté internationale a fini par l’adouber, explorés par des Anglais.

Non, vraiment, ce monde a bien changé. Le Maroc aussi.

PS (parce que quand même). Non mais moi ici, je suis clairement light, et là n’est pas la question.

Par Mouna Lahrech
Le 05/08/2021 à 11h02