France. C’est le selfie, cette semaine, de cette pauvre cloche de Marine Le Pen, je ne sais même plus comment elle a rebaptisé le parti d’extrême-droite raciste, fasciste, aux immondes relents nazis, que lui a légué son père, un geste «à son insu», a-t-elle déclaré ensuite, où elle fait l’apologie de la suprématie blanche. Sans que cela ne déclenche une tornade de protestations. Alors qu’elle continue à progresser, à réussir des scores ahurissants à chaque élection.
Etats-Unis. C’est ce récent discours de ce blanc-bec de Donald Trump, tout aussi raciste, défenseur d’un mur cloisonnant l’Amérique, qui veut, de plus, interdire l’avortement, face à une foule de «pro-life» enthousiastes.
Brésil. J’ai beau faire des efforts, pourtant je l’ai vu en photo à plusieurs reprises, je n’arrive pas à visualiser le visage de Jair Bolsonaro, le président haineux d’une nation métissée, qui a voté pour l'oubli du brassage qui l’a fondée. Je n’arrive pas à me le représenter, et je me dis que c’est tant mieux. Ce magnifique pays, Bolsonaro n’en est pas l’incarnation, juste un cauchemar qui finira par passer.
Et puis l’Espagne, cette Espagne dont je me sens étrangement proche, au point que sans avoir jamais étudié sa langue, j’en comprenne les discours… En Andalousie, un parti d’extrême-droite a tout dernièrement fait une significative percée aux législatives de notre voisin ibère. J’ai encore oublié le nom de ce parti, non et non, je n’irai pas interroger Google, leur mouvement idiot ne m’intéresse pas –la laideur m’échappe et je n’ai vraiment pas cette curiosité d’aller la chercher.
Les terriens les plus riches vont bien mal, l’évidence est là, et la crise née en 2008, d’abord financière, ensuite économique, s’est installée et va encore durer.
Les occidentaux ont en conséquence cette tendance au repli, à se recroqueviller, à désigner «l’étranger», cet «autre», ce «différent», comme étant la cause de leurs maux.
A haïr.
A mépriser.
A se sentir supérieur.
Vieille mécanique humaine: se replier sur les richesses qui restent, quitte à remettre en cause les acquis des révolutions qui ont propulsé sa société vers le progrès.
Alors bien sûr, je n’ai aucun diplôme à brandir.
Ici, peu de références savantes, nul étalage d'une inexistante confiture, et je n’ai pas à rougir de mon inculture.
J’élève quand même haut et fort la voix, et que cette tribune soit avant tout celle du simple bon sens.
Plus encore, je hurle et ne me prends pas pour de la crotte, et ça j’y peux rien, c’est parce que je suis marocaine, que j’ai cette conscience aigue de la beauté de mon pays et de la générosité de ses gens.
Pourtant, d’un strict point de vue occidental, avec mon passeport vert, je suis censée être une «damnée» de cette terre.
Cette semaine, piqûre de rappel d’une cruelle réalité des damnés que nous sommes, nous autres, Marocains: dans mon pays, jusqu’à 150 nouveau-nés sont abandonnés chaque jour.
Ce chiffre inqualifiable, d’une réalité innommable, figure dans une dépêche AFP du mardi 14 mai dernier: selon plusieurs articles parus dans la presse de mon pays, des médecins ont été arrêtés à Marrakech, dans une énième affaire d’avortements illégaux. Un pilote de ligne, qui importait d’Espagne un médicament abortif, au mépris de la loi en vigueur, a, lui aussi, été arrêté dans le cadre de cette affaire.
Cette dépêche, qui se conclut par cette glaçante estimation, 150 bébés jetés chaque jour dans les rues du Maroc, reprend les dires d’une ONG très sérieuse, déployée sur quasiment tout le territoire du royaume.
Cette affaire ne fait pas grand bruit ici.
Pourtant, c’est là un immense scandale.
Un double, triple, quadruple scandale.
Le scandale d’un code pénal inique, qui interdit d’avorter sous peine de lourdes peines de prison, qui précise, en outre, que les femmes et les hommes n’ont pas le droit de disposer de leur corps, et que l’homosexualité est punie.
T’as même pas le droit de disposer de ton estomac, selon ce code de la honte: déjeuner publiquement durant le ramadan peut te valoir de te retrouver derrière les barreaux.
Dans mon pays, l’islamisme perd du terrain. Mais qu’il se noie, qu’il s’abime dans les tréfonds des abîmes de sa noirceur, ce non-sens d’une religion dévoyée dans sa lettre, érigée au rang d’idéologie, au service de la soif du poil pour le pouvoir, de la soif de ses dirigeants, dont l’essence de la pensée se résume de poils et de voiles, cachez donc ces poils-ci, exhibez ces poils-là.
Ceux qui votent pour eux, qui militent pour eux, se rendent progressivement compte de l’immense supercherie de ces tartuffes.
Mais bonjour! Bon réveil à vous, il est plus que temps.
Dans mon pays, des consulats d’Europe, parmi les plus quémandés par mes compatriotes en quête d’un visa pour leurs vacances, ou pour une migration de longue durée, ont délégué l’attribution du droit d’entrer sur leur précieux sol à des prestataires.
L’Espagne, la France, l’Italie, annoncent cette semaine avoir bloqué l’attribution de leurs si convoités sésames pour le reste de la saison estivale.
Rendez-vous dans six mois, s’il reste de la place, pour l’heure, vous dit-on, c’est «saturé».
Non, toi, le bourgeois marocain, tu n’iras pas à Benidorm, à Benalmádena cet été, pas plus que tu ne paraderas à Marbella, ne bronzeras ta bedaine, ni ne boiras de la cerveza assortie de jamón serrano en terrasse de cette Andalousie que tu as autrefois colonisé durant huit siècles.
Je la vois tous les matins, cette foule compacte qui se presse devant un de ces prestataires, demandeuse d'un visa, ici, à Casablanca.
Juste à côté de la foule du vulgus pecum qui aspire au hrig, à la migration vers cet eldorado trompeur, au nom de la France, de l’Espagne, ou de l’Italie, je ne sais, ce prestataire a pris soin de placer un tapis rouge, délimité par un cordon non moins rouge, se terminant curieusement par un petit poteau à la boule cuivrée, pour bien marquer la différence, celle de la queue réservée à ces ci-devant VIPs, lesquels ne se rendent même pas compte du ridicule dans lequel l’occident les plonge.
Un poteau rouge, une boule cuivrée, fouler un tapis rouge.
Pour se faire apposer un sticker sur son passeport (vert).
Et 150 bébés abandonnés sur les trottoirs du Maroc. Dans ton propre pays, chaque jour.
Un bébé dans une benne à ordure.
Un bébé devant la porte d’un orphelinat, géré par une association déjà débordée.
150 humains, qui viennent à peine d’ouvrir les yeux sur cette chienne de vie, jetés dans la rue. Quotidiennement.
Et mes compatriotes, au lieu de s’impliquer dans et pour la société dans laquelle ils vivent, de militer pour le droit à l’avortement, de faire vivre le tourisme national, et donc d’offrir des emplois à leurs compatriotes plus vulnérables qu'eux, ou encore de réfléchir à la liberté de disposer de son corps, de son cul …
… Voire de penser, éventuellement, à aller voter pour autre chose que pour du touffu obscurantiste…
«Cerveza con jamón, por favor», bramera, débraillée, et dans un bel ensemble, la bourgeoisie marocaine, censée être notre élite, en regardant ailleurs.
Surtout pas chez elle, dans son propre pays.
Ne surtout pas regarder la réalité en face.
Très chères chancelleries occidentales, ce discours, à contre-courant: mais mangez-les donc, vos si précieux visas.
M., qui avait atterri à Casa, en provenance d’une capitale du vieux continent, voici je ne sais plus combien de temps, avait, le temps d’un week-end passé ici, d’un geste faussement négligent, jeté son passeport rouge sur une des banquettes de ma terrasse casablancaise.
Un passeport de «bienheureux sur la terre», donc.
Je n’avais pas jeté un regard à ce document de voyage qu’il avait triomphalement balancé juste sous mon nez.
Mais mange-le donc, ton précieux passeport.
Question à 1 euro, 1 dirham: que vaut une vie humaine?
Quel est le prix de la dignité d’un humain?
Je suis née au Maroc, et j’y suis, là. J’y resterai.
La tentation de la fuite, momentanée ou définitive, c’est la facilité de la couardise, du manque de courage.
Je l’ai eue, cette tentation.
C’est du passé.
Il faudra désormais me sortir d’ici de force.
Et toi, Marocain.e?
Ici, dans notre pays, tout est à faire.
Tout est à bâtir.
A commencer par une société digne de ce nom.
Suis-je si seule à penser ainsi?
Petit PS. Evidemment qu’idéalement, vous devriez pouvoir voyager où vous voulez, quand vous le voulez. En attendant que l’humanité s’éveille sur la réalité d’un de ses plus beaux textes, la Déclaration universelle des droits humains, pensez aussi à votre pays, à ses gens. Ce devrait être un devoir. L’égoïsme, le manque de civisme, voilà ce qui nous perd. Faire quelques gestes, ce ne serait déjà pas si mal…