Audio. Après avoir été décrié à sa sortie en 2012, "Tinghir Jerusalem" de Kamal Hachkar est devenu la star des réseaux

DR

Sorti en 2012, le film «Tinghir Jerusalem» de Kamal Hachkar enflamme la toile à l’occasion du rétablissement des relations entre le Maroc et Israël. Son réalisateur réagit dans cet entretien pour Le360.

Le 14/12/2020 à 14h30

A l'annonce du rétablissement des relations Maroc-Israël, un extrait de votre film "Tinghir-Jerusalem" est devenu viral sur les réseaux sociaux, neuf ans après sa sortie. Comment avez-vous réagi?Lorsque j’ai appris le rétablissement des relations Maroc-Israël, un site arabophone a republié un passage extrêmement émouvant de mon film, où l’on voit ces Marocaines en Israël dire leur amour du Maroc, parler en Tamazight, et évoquer la blessure de leur exil. Moi je me trouvais en mission à Addis-Abeba, et en trois jours, il y a eu plus d’un million de vues sur les réseaux sociaux [sur cet extrait].

Ma réaction est une réaction de joie car ce film je l’ai fait avec mes tripes. Je pense a mon grand père Baha, que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde. A tous ces anciens qui nous ont montré l’exemple de la co-existence entre juifs et musulmans. Ce film est sorti en 2012, il a eu un écho incroyable, grâce à sa diffusion sur 2M dans l'émission des Histoires et des Hommes, et à l’époque j’avais été attaqué par des panarabistes ou des islamistes, qui m’accusaient de vouloir une normalisation avec l’Etat d’Israël.

Je pense personnellement qu’on ne peut pas se couper de nos 800.000 Marocains juifs qui vivent là-bas, on ne peut pas se couper de 1,2 millions de Marocains juifs qui aiment leurs pays, qui aiment la culture marocaine, qui l’ont transmise, aussi, à leurs enfants. Je suis donc touché par ce geste de gens qui ont partagé ce premier film, qui m’a fait connaître. C’est pour moi une grande fierté.

Pour répondre plus précisément aussi à ce que je peux penser de ces relations diplomatiques, je crois qu’il fallait cesser l’hypocrisie car ces relations existaient déjà, ce qui ne nous empêche pas de soutenir la cause palestinienne, de soutenir la dignité palestinienne et d’être contre l’occupation israélienne dans les colonies.

Ma bataille, mon combat c’est que nous puissions vivre tous en paix, juifs et musulmans.

"Tinghir Jerusalem" avait à l'époque de sa sortie provoqué une véritable levée de boucliers. On vous avait accusé de vouloir une normalisation avec Israël. Aujourd'hui, ce film n'est plus décrié...

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a décidé de rétablir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israel. Moi je ne suis pas un homme politique, je ne suis pas un diplomate, je suis un homme de culture, de cinéma, qui essaie de rapprocher les gens, car nous avons cette culture commune, nous avons cette langue, la darija, nous avons des jeunes qui veulent perpétuer les relations.

Je suis Franco-Marocain, je suis né à Tinghir, et quand j’ai quitté le Maroc, j’avais 6 mois. J’ai ensuite décidé de venir m’installer au Maroc pour construire modestement un Maroc meilleur, progressiste, et où toute la diversité culturelle doit prévaloir.

Je rappelle aussi que notre constitution de 2011 rappelle nos identités plurielles, que la langue amazighe est une langue officielle, que nous sommes sahraouis, que nous sommes juifs, musulmans, chrétiens, et c’est ça le Maroc.

Quel sera l'impact, selon vous, de ce rétablissement des relations Maroc-Israël sur un plan artistique?Je pense que l’impact ne peut être que positif parce que de nombreux artistes israéliens d’origine marocaine revendiquent leur marocanité à part entière. Vous savez, j’ai réalisé mon dernier film qui a fait son avant-première mondiale au festival International du film de Marrakech, et qui a décroché un prix au festival de Tanger. Ce film a ensuite été projeté lors d'une première internationale dans le plus grand festival de documentaires à Toronto. Il circule, là, en ce moment aux Etats Unis, en Suisse, en Belgique… 

Le film «Dans tes yeux je vois mon pays», tourne autour de deux artistes marocains juifs qui vivent à Jerusalem: Neta El Kayam et Amit Hai Cohen. Il raconte cette jeune génération qui réinvestit l’identité marocaine par la musique. D’ailleurs, récemment, Neta El Kayam a sorti trois titres, où elle chante Hak A Mama [une chanson du patrimoine marocain, Ndlr]. Ce que je veux dire par là, c’est que nous avons enfin mis fin à l’hypocrisie qui régnait autour de nos relations. Les relations existaient déjà, il y avait 100.000 touristes qui venaient chaque année au Maroc. Le Maroc a tout à gagner sur le plan économique, puisque plusieurs investisseurs pourront venir développer des projets au Maroc.

Par Qods Chabaa et Saad Aouidy
Le 14/12/2020 à 14h30