Dès les premières heures de cette journée du vendredi 20 mars, la ville de Meknès, tel un bourgeon, s’animait au rythme du festival du film d’animation. Le centre culturel français plein comme un œuf, voyait un public affluer en grand nombre. Dans son enceinte, enfants, jeunes et adultes se sont retrouvés dans une ambiance bon enfant et légère. Côté organisation, l’heure était aux derniers ajustements. Au quartier général du festival, la température monte crescendo alors que tout le monde prend son poste: artistes, réalisateurs, organisateurs, public…
Les visiteurs avaient rendez-vous d’abord à l’exposition rétrospective “Jeu pour lignes et formes” de l’allemand Raimiund Krumme, l’un des plus importants représentants de l’animation indépendante en Allemagne. Le public a pu ainsi découvrir en guise de mise en bouche, des sequences de dessins, des croquis et des storyboards pour ses différents courts métrages retraçant ainsi son univers, exposés sur les murs du centre culturel français. Un peu plus loin, dans le patio ombragé, des jeunes ont eu l’occasion d’échanger et de s’inspirer des parcours de deux intervenants, le brésilien Ale Abreu et l’ivoirien Abel Kouamé, autour d’un thé à la menthe comme le veut le nom du concept,” Thé à la menthe avec…” en toute convivialité et proximité.
Il est 18h30 quand le coup de gong résonne. Photo souvenir réunissant Isao Takahata, entouré de messieurs l’ambassadeur du Japon, le Wali de la ville de Meknès, le directeur du centre culturel français, le président de la fondation Aicha, le directeur artistique du FICAM, réalisateurs, membres du jury, artistes et intervenants. L'édition 2015 du FICAM est officiellement lancée.
Silence, laissons la parole au SenseiLe grand moment de la soirée arrive enfin. Comme programmé, "Le conte de la princesse Kaguya" , d’Isao Takahata a fait l’ouverture du festival, juste après la projection en avant-première du court-métrage de Jihad Eliassa, le doukkali creator, bourré de talent et d’ingéniosité, à l’origine du concept d’illustrations des dictons marocains. Son court-métrage complètement décalé sur les rapports des Marocains avec la nourriture, lui aura valu le grand prix Aicha de l’animation dans sa 8ème édition. Mohamed Beyoud, directeur artistique du festival annoncera, Adam Belarouchia, lauréat de la 9 ème édition de la compétition Aicha. Ce sera Mehdi Zouak, directeur de l’école nationale des beaux arts de Tétouan qui réceptionnera le prix à la place du vainqueur. Mohamed Beyoud reprendra le micro, pour rendre hommage avec une pointe d’émotion non dissimulée, à un artiste de renom, le regretté Moustapha Alassane, grand nom du cinéma africain, ami et proche du festival, disparu le 16 mars.
Adapté d’un conte traditionnel japonais, l'ultime chef d’œuvre d'Isao Takahata, 78 ans, cofondateur en 1985 du studio japonais d'animation Ghibli avec Hayao Miyazaki, son complice et rival de toujours, est une ode à la vie terrestre, qui raconte, en dessin, les aventures d’une jeune princesse découverte dans une souche de bambou. Une interactivité s’est tissée entre la salle, tenue en haleine, réceptrice, touchée, tantôt riant, tantôt pleurant au gré des péripéties de l’attendrissante princesse Kaguya et la narration de cet homme humble, universel, humaniste, porté par un regard unique sur le cinéma et le monde en général, soulignée par une bande sonore savoureuse. De ce film poétique, au trait de fusain à la fois voluptueux et incisif, aux tons pastels évoquant l'aquarelle et déroulant les intrigues de ses personnages, petits et grands n’auront qu’un mot à la bouche: C’est une merveille. On se laisse bercer par la musique de Kazumi Nikaido, on s’imprègne de cette nature luxuriante et on se solidarise avec l’héroine, s’indignant contre le poids des traditions ancestrales écrasantes. Les plus sensibles auront même versé quelques larmes à la fin de ce chef d’œuvre, ultime réalisation du grand maître de l’animation, tirant ainsi sa révérence quelques mois après l'annonce similaire de Miyazaki en 2014, après une carrière de plus d’un demi siècle.
Cette première journée du FICAM n’aura pas été au bout de ses surprises, Isao Takahata reviendra dans la salle en fin de projection, pour tâter le pouls d’un public encore tout jubilant et ovationné, avant de se voir remettre un trophée honorifique des mains du patron du centre cinématographique, Sarim Fassi Fihri.