Le groupe Jil Jilala a vu le jour au début des années 1970, lorsque six musiciens de talents, qui puisaient leurs mots et leurs rythmes, portés par des instruments traditionnels, dans l’humus de la terre, les tréfonds de ses mémoires et les âmes de ses peuples, se sont réunis pour former ce qui deviendra, avec Nass El Ghiwane, le groupe le plus populaire de l’histoire du Maroc. Leurs textes ont des saveurs originelles, brutes comme la roche, pures comme eaux de source, brûlantes comme la douleur et l’espoir : ils parlent le Maroc, ses enfants, ses soifs et ses faims, ses élans vers demain.
C’est donc en 1972, à Marrakech, que les marocains découvriront pour la première fois Abd El Karim El Kasbaji, Moulay Taher Asbahani, Moustapha Bakbo, Mohamed Derhem, Sakina Safadi, Hassan Miftah et Hamid Zoughi. Le succès est immédiat et, un mois à peine après leur premier passage à la télévision marocaine, les Jil Jilala donneront, au théâtre Mohammed V de Rabat, un concert qui attirera ce soir du 7 octobre 1972 une incroyable foule en délire. A tel point que le public ne laissera pas repartir le groupe, refusant de voir s’achever le concert. Ce soir-là, le roi Hassan II les recevra au palais royal, à Rabat, en tant qu’invités d’honneur.
Un groupe d'exception
C’est le début du phénomène Jil Jilala : un groupe de musiciens et paroliers d’exception qui deviennent les porte-parole de tout un peuple, par-delà les frontières. Les concerts se multiplieront, en effet, après ce premier succès fulgurant, pour les mener, entre autres, à Paris, où ils feront salle comble à l’Olympia 3 mois seulement après leurs débuts. Profondément ancrés dans cette terre du Maroc riche de cultures tressées, les Jil Jilala doivent sûrement leur succès à ce talent qu’ils ont eu de définir une sorte d’espace musical singulier, profondément maghrébin, qui touche tout un chacun. C’est tout le Maroc sans distinction de langues, de classes, d’ethnies, que le groupe rassemble autour de lui, de ses rythmes gnawis, de ses textes abrasifs et d’un lyrisme qui a renouvelé la langue dialectale, la traversant d’un nouveau souffle.
Ce groupe révolutionnaire continuera de marquer les générations. Ses chansons sont un héritage qui se transmet et se transmettra toujours. Elles font partie de l’histoire, Jil Jilala ayant vu le jour à un moment difficile où le Maroc postcolonial se reconstruit et redéfinit son identité. Elles font partie du patrimoine culturel d’un pays où, du plus petit au plus grand, chacun connaît ou reconnaît ces titres inoubliables que sont Chemaa, Allaymine, Ach bik daret laqdar, ou encore Nour El anwar, Leklam Lemrassaa et Assalamou Alykoum… Les Jil Jilala ont perdu un des leurs. Hassan Miftah s’en est allé. Mais ils resteront éternellement vivants en chacun de nous.