Vous avez dit unique ? Et vous avez raison ! Le concert donné, lundi soir, par Ibrahim Maalouf sur la scène de l’hippodrome était absolument éblouissant. Jeune, oui, mais un grand maître déjà que ce brillant jazzman qui est d’ailleurs le premier instrumentiste à avoir été récompensé des Victoires de la musique. Une reconnaissance bien méritée pour ce musicien fascinant, troublant, enivrant, qui vous émeut et vous bouscule et vous transporte jusqu’à la transe. Les morceaux vibrent d’une émotion incisive qui vous traverse obscure, prenante plainte montante qui s’élèvera, frémissante, jusqu’au cri et déferler raz de marée de rythmes déchaînés, insensés de puissance et de beauté.
Jazz tressé de tremblées orientales comme bouquet de racines enlacées vives la terre natale. Ibrahim Maalouf a frappé son public à bout portant, l’atteignant en plein cœur. Et son emprise sur les corps et les âmes, chamboulés, ne s’est pas relâchée un instant durant cette soirée magique où le Maestro était accompagné de musiciens stupéfiants. De la haute voltige, au point que le concert a été interrompu, en plein milieu, par une fiévreuse standing ovation.
Moment de grâce
La trompette halète, gémit, râle, s’éteint dans un souffle agonisant. Reprend son étrange mélopée saccadée, semble appeler quelqu’un pour lui redonner vie, hoquette, s’éteint encore dans un souffle rauque et… soudain… un saxophone s’éveille dans la salle, parmi le public, répond à l’appel. Les deux instruments tissent alors un dialogue d’une foudroyante poésie tandis que le saxophoniste, un jeune musicien marocain, se dirige vers la scène pour rejoindre Ibrahim Maalouf. Et le dialogue de s’enflammer alors comme fougueuse étreinte.
Ibrahim Maalouf, le conteur
Un musicien, oui. Mais un fabuleux conteur qui raconte des histoires sans paroles, qui se passent de mots. Lui-même parle de « chansons qui ne sont pas chantées ». Et, lorsqu’il joue un rêve qu’il a fait d’un vieil homme qui décide d’aller vers tous ceux qui ont croisé son chemin pour leur demander pardon, la trompette chante, raconte, nous renvoie jusqu’aux battements de cœur de cet homme qui semble prendre corps en nous. Sa tristesse, ses regains d’espoir, ses émotions, ses amours, ses regrets, sa finitude. Tout de lui nous parvient à travers ce morceau, un chef-d’œuvre, qui fait monter les larmes à travers les sourires. Un silence religieux accueille "Beyrouth", ses mémoires, ses blessures, pour un moment d’intense complicité. Dans le public, des voix s’élèvent pour reprendre la mélodie. Ibrahim Maalouf raconte. Des histoires sans paroles dont chacun comprend l’ineffable poignant langage et reçoit les images. Non, le public ne le laissera pas repartir. Ibrahim Maalouf prolongera son concert de trois morceaux endiablés, et chacun repartira le corps chargé de rythmes et de mondes entêtants.