Le360: Jean Zaganiaris, vous êtes un grand passionné et spécialiste de la littérature marocaine. Pour avoir été présent au prix de la Mamounia, que pensez-vous du cru de cette année? Jean Zaganiaris: Comme chaque année, il y a des écrivains talentueux qui sont retenus pour participer à ce prix. Il y a de nombreux romans qui abordent dans un cadre littéraire des questions sociales. Je pense à "Le 31 février" de Hafid Aboulahyane ou à "La liste" de Naïma Lahbil Tagemouati. Ce dernier roman montre les enjeux politiques qui sous-tendent le relogement des habitants d’un bidonville de Casa et les perceptions que les différents acteurs ont à l’égard de ces politiques publiques. "Ordonnances & confidences" de Reem Laghrari Benmehre décrit d’une belle façon le regard humain qu’une pharmacienne porte sur la vulnérabilité de ses clients, sans jamais verser dans le misérabilisme. "Les tribulations d’un intérimaire" de Moustapha Bouhaddar décrit les pratiques sociales d’une personne multipliant les expériences professionnelles courtes. "Le job" de Réda Dalil s’inscrit également dans ces tableaux littéraires de la fragilité sociale.
Pour être sociologue, vous n'en êtes pas moins sensible à la qualité littéraire et aux univers mis en scène par l'écriture. Quels sont les "griffes" et les mondes qui vous ont le plus touché? Le sociologue de la littérature doit garder une certaine distance à l’égard de son objet de recherche mais il peut aussi avoir un regard autre que sociologique sur les romans. C’est aussi un lecteur (et c’est sans doute parce qu’il aime la littérature qu’il décide d’en faire un objet sociologique). Donc oui, j’ai aussi un regard subjectif sur cette sélection. Par exemple, je vous dirai que mon favori est le roman de Bouthaina Azami "Au café des faits divers". Je ne dis pas cela parce que l’auteur est également journaliste à Le360, mais parce que j’aime beaucoup son travail littéraire, sa façon de décrire la souffrance et la destruction des êtres. J’aime être troublé, perdu, déconcerté lorsque je lis un roman et c’est pour cela que c’est mon préféré. J’ai aussi été séduit par le travail littéraire de «La Blanche» de Mai-Do Hamisultane. Elle me fait penser –dans un style qui lui est propre– à Marguerite Duras. J’ai aussi beaucoup aimé la littérature musicale de « Nos plus beaux jours » de Moha Souag, qui fait raisonner dans nos oreilles le chant des cheikhats et la mélodie des films égyptiens en noir et blanc. Le style de Réda Dalil m’a aussi beaucoup plu. La façon dont il rend compte des souffrances de cet homme cherchant un job comme d’autres cherchent de la drogue lorsqu’ils sont en manque est marquante et je le félicite encore une fois pour son prix !!!
Pensez-vous que la littérature marocaine se porte bien et qu'en est-il, surtout, de sa valorisation, par-delà les rares prix littéraires?J’ai une dette énorme à l’égard de la littérature marocaine et je fais partie de ceux qui parlent de sa grandeur et publient des travaux de recherche sur elle. Comme l’a dit quelque part Mamoun Lahbabi, si l’on veut connaître le Maroc, il faut connaître sa littérature. Depuis Driss Chraïbi et jusqu’aux auteurs contemporains, il y a quelque chose de capital dans cette littérature, quelque chose de fortement emblématique de la vie au Maroc (même si cela est ancré dans un cadre fictionnel). Il est important que tous ces textes littéraires fassent l’objet de valorisation au sein des établissements d’enseignement publics ou privés, lors des rencontres littéraires (qui commencent à être de plus en plus régulières) et au sein de la scène culturelle internationale.