Censure. Autocensure. Et recensure… Mounir Fatmi ne manque pas de faire du bruit autour de ses œuvres. Son travail autour de versets coraniques qu’il avait commencé par projeter sur le sol avait déjà créé la polémique, en 2012, à Toulouse, où l’artiste avait présenté son installation en plein centre-ville. Une installation qui avait offusqué certains musulmans et valu une claque à une pauvre passante qui avait marché sur les lettres tournant sur le bitume. Suite aux reproches de ses détracteurs qui ont jugé inacceptables de projeter à terre des versets coraniques que tout le monde pouvait fouler du pied, Mounir Fatmi s’est rétracté pour décider, finalement, de projeter son installation sur le mur. Une installation savante, il faut l’admettre, que chacun a entre autre pu découvrir à l’Institut du Monde arabe, à Paris, dans le cadre de l’exposition consacrée au «Maroc contemporain». L’artiste y met en scène la défiguration de la parole religieuse, interprétée à tout-va au point d’en devenir incompréhensible, dans le brouhaha des idéologies croisées. Mais, même projetée sur le mur, cette installation a continué de faire débat, et l’artiste marocain a été rayé de la liste des artistes représentés au nouveau Musée d’Art contemporain de Rabat.
Les versets sataniquesAujourd’hui, c’est au tour de sa vidéo «Sleep, Al Naîm», actuellement visible au Musée d’Art Contemporain (MAMCO) de Genève où la censure ne fait pas loi, d’être refusée par la Villa Tamaris, en Seyne-sur-Mer, dans le Var, en France. Vidéo désormais fameuse du dormeur censé représenter Salman Rushdie et s’inspirant du «Sleep» d’Andy Warhol qui, en 1963, a sorti un film de 6 heures où l’on voit dormir le poète John Giorno. De même pour le film de Mounir Fatmi: un film en hommage à l’auteur des «Versets sataniques» dont l’artiste a reconstitué les traits en 3D, à défaut d’avoir réussi à le joindre pour jouer le rôle. On l’y voit donc dormir, inspirant, expirant, 6 heures durant, au rythme inconséquent du cliquetis des secondes. En quoi sommes-nous dans la provocation? Apparemment, la seule référence à Salman Rushdie est considérée comme délicate. Par ailleurs, l’écrivain y est mis en scène comme une sorte de divinité, hors du temps. Mounir Fatmi recevra ainsi une lettre de la Villa Tamaris où les raisons de la censure de son œuvre lui seront ainsi spécifiées par Evelyne Artaud, commissaire de l’exposition: «Vous nous jetez au milieu d’une polémique dont les enjeux sont brouillés par un incroyable brouhaha politico-médiatique qui n’apporterait rien à la compréhension du débat.» Et le directeur de la Villa Tamaris, Robert Bonnacorsi, de qualifier l’œuvre de «dérive poétique autour de la nuit sans lien avec l’actualité.»
Ce à quoi il y aurait beaucoup à répondre. Car en quoi l’art se doit-il d’être en lien direct avec l’actualité? L’œuvre de Mounir Fatmi ne touche-t-elle pas, d’ailleurs, au sujet le plus brûlant auquel nous soyons confrontés à l’heure actuelle, à savoir le rapport à la religion? La France a indéniablement peur, désormais, des «dérives poétiques» susceptibles de causer des dérives sociales, même si d’aucuns s’accordent à dire que Mounir Fatmi, aussi ingénieux soit-il, cultive surtout l’art de la censure ou, mieux, de l'autocensure. Un point de vue qui fait aussi débat et est soutenu par l'impression que donne de plus en plus l'artiste de chercher des sujets pour provoquer la censure et en tirer parti à des fins de communication. Si tel est le cas, il a certes le talent à faire de la censure un fonds de commerce, mais le tapage médiatique a plutôt tendance à desservir l'oeuvre en elle-même, condamnée qu'elle est à rester tapie dans l'ombre.