Difficile de décrire le talent de Rebel Spirit en quelques mots. Tant d’adjectifs se bousculent, en effet, dès que l’on s’essaie à définir cet artiste et son univers. Talentueux, il l’est, jusqu’à l’ingéniosité. Passionné, aussi, jusqu’à en devenir une sorte de Merlin des villes qui, loin de se contenter de puiser son inspiration dans l’effervescence qui l’entoure, agit sur son monde en l’inondant des reflets et couleurs de son imaginaire, magnifiant les murs, détournant les objets qui polluent le regard et qu’il retraduit œuvres d’art sur lequel, désormais, le regard aime à s’attarder.
Mohamed El Bellaoui, alias Rebel Spirit, est l’auteur du fameux Guide casablancais, sa première bande dessinée, parue en version bilingue, où l’on va à la rencontre de Casablanca et ses habitants. En Casablancais qui connaît bien sa ville et en artiste au regard affûté, ce tout jeune grand artiste, lauréat de l’école des Beaux-arts de Casablanca, nous précipite, avec humour, dans des situations cocasses où se retrouvent les habitants de la métropole. Il nous entraîne dans les fameux taxis blancs, l’effervescence des bus, nous initie aux codes de communication casablancais, nous plonge dans la fièvre des supporters de football qui se défient par maillots verts et rouges interposés, dans une ville où Rajae et Widad divisent et attisent les passions. Et cette complicité, touchante, avec les rues de sa ville. Rues de « la chance », de « la barka », dit-il, tant elles ne manquent jamais de vous surprendre, de vous interpeller par ce que l’artiste accueille comme autant de signes, ineffable dialogue qui ouvre dans le brouhaha urbain des instants empreints de mysticisme. Un pur régal.
Très engagé dans le street art et la culture underground, Rebel Spirit a bien des cordes à son arc : dessinateur hors pair, il s’adonne aussi au design, à la peinture, au graffiti et sait se servir de toutes sortes de médias, ancrant ses créations dans une mouvante et pétillante contemporanéité.Le succès de l’artiste a déjà, d’ailleurs, dépassé les frontières, puisque son Guide Casablancais a fait partie des œuvres présentées à l’Institut du monde arabe, à Paris, à l’occasion de l’exposition « Le Maroc contemporain ».
Dernièrement, son action sur ces antennes paraboliques qui envahissent les toits de Casablanca et qu’il a transformées en magnifiques œuvres d’art, a particulièrement attiré notre attention. En attendant la sortie, imminente, de son Guide casablancais II, Rebel Spirit nous en dit un peu plus sur son parcours et sa démarche artistique.
Le360: Rebel Spirit, que pouvez-vous nous dire de votre parcours ? Comment êtes-vous « tombé » dans l’art ?Rebel Spirit: J’ai commencé à dessiner et à peindre très tôt. Je dessinais et peignais avant même de commencer à écrire. A l'école, pendant que mes camarades étudiaient, bûchaient sur les maths ou la chimie, je dessinais. Je créais des personnages, j’inventais des super héros, je mettais les profs que je n’aimais pas dans des situations burlesques. Donc, après le baccalauréat, je n’ai pas voulu perdre mon temps à poursuivre des études universitaires, à poursuivre le rêve classique de devenir avocat, médecin ou banquier… Je me suis dit : « Je vais faire de ma passion un métier et m’amuser toute ma vie ».
Le360: Vous vous êtes fait connaître avec votre BD Le Guide Casablancais. Un grand succès, une œuvre qui a pris place parmi les œuvres présentées à l'exposition de l'Institut du Monde arabe sur l'art marocain contemporain. Comment est née cette BD ?Rebel Spirit: Le Guide Casablancais est avant tout un rêve d’enfance et une réponse à plusieurs questions que je me posais en tant que Casaoui. Surtout qu'à chaque fois que je recevais des amis ou des artistes étrangers chez moi, à chaque fois qu’on visitait la ville, je devais expliquer mille choses et déchiffrer plein de codes pour que les gens comprennent le mode de vie Bidawi. Le concept est donc tout simplement de dévoiler la ville et ses phénomènes, qui n’existent nulle part ailleurs, grâce au personnage de Lmadani qui nous fait visiter son Casablanca et nous explique comment y vivre, dans une ambiance humoristique, légère, critique aussi.
Le360: Le Casablancais II s'apprête à naître. Pouvez-vous nous en livrer quelques secrets?Rebel Spirit: Dans le prochain numéro je vais raconter l’histoire de la rencontre du couple Madani et aziza. En utilisant une technique de narration non linéaire, j’entremêle plusieurs histoires dans un moule sarcastique qui se distingue par ses dialogues stylisés, son mélange de violence et d'humour et ses nombreuses références à la culture populaire.
Le360: Vous vous impliquez beaucoup dans le street art. Que représente pour vous cette démarche artiste?Rebel Spirit: Je crois que le graffiti, ou le street art en général, est la discipline la plus proche des peuples, depuis que l’homme a voulu laisser des traces et illustrer sa vie dans les grottes.Dans mon cas, j’ai été influencé par la culture urbaine hip-hop des années 90.J’ai grandi dans ce délire et je pratique le graff de façon presque quotidienne. C’est un art qui va vers les gens sans autorisation et sans discrimination sociale.
Le360: Vous avez eu une initiative magnifique : celle de transformer en œuvres d'art ces antennes paraboliques qui envahissent les toits. Comment vous est venue cette idée et quel message transmet-elle ?Rebel Spirit: J’adore voir les pigeons voyageurs et, pour cette raison, j’ai toujours été sur les toitures des immeubles. Le seul élément qui a toujours dérangé mon champ visuel a été ces paraboles. Elles poussent dans la ville comme des champignons qui forment une sorte de frontière entre la terre et le ciel et une ligne mal dessinée qui brise la perfection de la ligne d’horizon. D’où l’idée de transformer ces supports en œuvres d’art en m’amuser à les peindre.L’idée de ce projet est ouverte à toute personne qui a envie de l’essayer chez elle.