Une exposition au musée des Tissus à Lyon (jusqu'au 8 mars) raconte les coulisses de la haute couture et la synergie du génie créatif du couturier et du savoir-faire ancestral des tisserands lyonnais.
A 17 ans, dans la maison familiale d'Oran, en Algérie, Yves Saint Laurent s'amuse à faire des "paper dolls", ces poupées qu'il découpe des magazines de mode achetés par sa mère et auxquelles il dessine une garde-robe.
Au dos de chaque pièce, il inscrit le nom de la maison lyonnaise dont le tissu servira à fabriquer la tenue. Il les connait déjà grâce aux publicités sur lesquelles on indique à l'époque le nom du créateur et aussi celui du fabriquant qui paie ces pages des magazines.
"Lorsqu'il crée sa maison en 1961 et commence à dessiner la première collection, il va commander à Lyon ses premiers tissus qui vont l'accompagner durant 40 années de création jusqu'à la dernière collection en 2002", explique à l'AFP Aurélie Samuel, directrice des collections du musée Yves Saint Laurent à Paris et une des commissaires de l'exposition.
Dans une scénographie moderne, dynamique et nerveuse, avec des images de défilés et des témoignages de fabricants et d'anciens des ateliers Saint Laurent, l'exposition "symbolise le renouveau du musée" après des années de marasme, souligne Esclarmonde Monteil, directrice du musée des Tissus et co-commissaire de l'exposition.
Dans le parcours qui présente 25 tenues, on retrouve aussi des documents inédits qui montrent les coulisses du processus créatif, précieusement gardés par la fondation Pierre Bergé- Yves Saint Laurent et qui "ont permis d'identifier les fournisseurs lyonnais", souligne Aurélie Samuel.
"Il y a ceux qui partent du dessin et ceux qui partent du tissu, Saint Laurent dessinait le tissu", dit-elle.
En regardant ses croquis représentant des modèles en mouvement, les chefs d'atelier voient tout de suite "si c'est une mousseline, un satin ou un taffetas. C'est le tissu qui va déterminer le tombé du vêtement", explique-t-elle.
Parfois, les idées du couturier stimulent l'innovation comme pour créer, en pleine révolution sexuelle, l'un des matériaux favori d'Yves Saint Laurent pour dévoiler le corps féminin, la "cigaline", un tissu synthétique imaginé par la maison Bucol, fin, léger mais solide.
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Lorsqu'on veut faire du lamé or, on ne peut pas porter sur soi une lame d'or, métal lourd et seulement adapté pour le mobilier ou les vêtements liturgiques.
"Il va falloir inventer une méthode et Lyon, à la pointe de la technologie, est très réactif. Cela devient une forme de plastique recouvert d'or qui sera souple, fluide, captera la lumière et qui surtout ne s'oxydera pas", décrit Aurélie Samuel. Ainsi naîtra la robe de mariée "Shakespeare", avec son camaïeu d'or, présentée en 1980 et qui accumule des étoffes précieuses (cloqué, damassé, tulle, lamé..) de cinq maisons lyonnaises.
Avec les petits métrages et les contraintes - la maison de couture commandait énormément de rouleaux et ne payait que ceux qu'elle utilisait, les soyeux gagnaient peu d'argent, mais beaucoup en termes d'image, souligne Esclarmonde Monteil. Les fabricants retenus voyaient généralement leurs ventes augmenter.
Avec la fin d'une période de grande opulence dans la mode et la disparition d'une génération de couturiers majeurs comme Saint Laurent, Hubert de Givenchy ou Karl Lagerfeld, certains "directeurs artistiques" travaillent toujours avec des matériaux d'exception, mais n'ont pas, regrette-t-elle, "le même contact" avec le tissu.