La plupart des paroles de ce morceau -y compris son titre, une abréviation argotique qui évoque un vagin lubrifié- sont intraduisibles sans risquer de verser dans l'obscénité.
Musicalement, la chanson sortie mi-août est assez basique, bâtie autour d'un air contagieux apparu dans les années 1990 dans une boîte de nuit de Baltimore, "Whores in this house", de Frank Ski.
Mais Cardi B, 27 ans, ancienne stripteaseuse originaire du Bronx, et Megan Thee Stallion, 25 ans, originaire du Texas, prennent un malin plaisir à marteler les paroles les plus osées.
Et dans la vidéo, les deux rappeuses déambulent en talons aiguille et bodys on ne peut plus déshabillés, dans une riche demeure aux couleurs pastel où se succèdent félins, insinuations sexuelles et formes généreuses.
Beaucoup de critiques ont été louangeuses, alors que le tube devenait viral sur le réseau TikTok.
Mais à l'approche de la présidentielle américaine, des voix conservatrices ont crié au scandale.
"WAP (que j'ai entendu par hasard) m'a donné envie de me verser de l'eau bénite dans les oreilles", a tweeté James Bradley, républicain de Los Angeles qui briguera le 3 novembre un siège à la Chambre des représentants.
Ben Shapiro, éminent éditorialiste conservateur, a lui dénoncé la vidéo comme une régression pour le mouvement féministe, ce qui lui a valu de nombreuses moqueries.
Tout cela n'a fait que doper le succès de "WAP".
"Ils parlent, ils parlent et les chiffres augmentent", déclarait récemment Cardi B, une fan du socialiste Bernie Sanders qui soutient désormais le démocrate Joe Biden pour la présidentielle.
Certains sur les réseaux sociaux ont fait remarquer que les mêmes conservateurs soutenaient un président, Donald Trump, qui s'était vanté, en des termes tout aussi vulgaires, d'"attraper les femmes par la chatte".
Après le discours de la Première dame Melania Trump à la convention républicaine mardi soir, une candidate républicaine au Congrès, DeAnna Lorraine, a estimé dans un tweet que l'Amérique avait "besoin de beaucoup plus de femmes comme Melania Trump, et de beaucoup moins de Cardi B".
La rappeuse new-yorkaise lui a répliqué en tweetant une vieille photo dénudée de la "First Lady", ancienne mannequin, en concluant: "C'est tout ce que je dis".
Pour Sherri Williams, spécialiste des médias à l'American University de Washington, les critiques étaient prévisibles.
"Le patriarcat punit toujours les femmes qui parlent de leurs expériences sexuelles", explique-t-elle à l'AFP. "Une femme victime d'agression sexuelle se voit reprocher son comportement ou sa tenue. Une femme qui parle de plaisir sexuel est immorale".
L'hypocrisie va encore plus loin, selon l'universitaire, quand on considère que les deux rappeuses sont noires, et que les femmes noires ont longtemps été traitées comme des marchandises, comme esclaves ou comme cobayes de recherches gynécologiques.
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La vidéo va aussi à l'encontre de l'idée que le féminisme appartient avant tout aux "femmes blanches aisées", souligne Sherri Williams.
Politiquement engagée, jeune maman sans complexe face à son succès, Cardi B incarne les idéaux du féminisme, mais "comme c'est une ancienne stripteaseuse, venue de la téléréalité et des classes populaires (...), cela semble nier pour certains son féminisme", dit-elle encore.
L'éminente gynécologue et éditorialiste Jen Gunter s'attendait elle aussi aux critiques.
"Notre société donne honte aux femmes qui parlent de leur corps", avance-t-elle. "Il n'y a rien de plus dangereux pour les hommes faibles qu'une femme qui revendique sa sexualité".
Pour elle, "WAP" est un "nouveau repère culturel", qui permettra de démonter les fausses informations sur la sexualité féminine et d'aider les femmes qui ont du mal à accepter leur corps.
Il est rare que la culture populaire "évoque le vagin de façon constructive", analyse Jen Gunter. "WAP" permet selon elle "aux femmes de s'exprimer comme les hommes s'expriment - je pense c'est un formidable pas en avant".