Nous devons au quotidien Assabah, datée de ce lundi 15 juin, et à la plume de son rédacteur en chef, Khalid El Hourri, un article qui met la lumière sur un homme qui suscite beaucoup de phantasmes, dont on sait peu de choses sur sa vie, et qui est à la tête de deux institutions, au cœur du dispositif sécuritaire de l’Etat marocain: Abdellatif Hammouchi. Le rédacteur en chef du quotidien Assabah tient des données biographiques inédites sur la vie et le parcours du patron du pôle DGST-DGSN de l’un de ses proches, inscrit dans un même cours que le journaliste à la faculté de Droit de Mohammedia.
Le fils du fellahAbdellatif Hammouchi est né au cœur du Maroc rural, dans le village de Beni Ftheh, dans le pré-Rif, à proximité de la ville de Taza. Cette région, nommée Branès, a vu la naissance d’un autre serviteur de l’Etat, le général de corps d’armée Mohamed Haramou. Orphelin d’un père fellah, Abdellatif Hammouchi a conservé des self-made-men cette capacité de croire que seul le travail paie. L’attachement aux vertus du travail explique en grande partie les succès qui ont ponctué son parcours et ont fait l’admiration de ceux qui ont eu à croiser son chemin. Le travail et la persévérance apportent des résultats. Tel est l’enseignement dont ne se défait jamais le directeur du pôle DGST-DGSN.
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Il n’a pas été facile pour un jeune garçon, né dans un village de la région de Branès d’effectuer une scolarité sereine, sans les multiples embuches que la vie tend aux plus vulnérables d’entre nous. Mais selon son parent, qui s’est confié au journaliste d’Assabah, les aléas de la vie l’ont rendu plus fort. «Dans la famille, on le surnommait le Phénix», tant il avait développé une capacité rare à se surpasser.
Hammouchi a accédé à l’université à Fès, où il a obtenu un diplôme qui l’a habilité à rejoindre le rang des cadres des forces de l’ordre. Il a pu mener à terme ses études universitaires grâce au soutien financier de ses proches. Comme tous les Marocains, le noyau familial et la gratitude sont des vertus cardinales. Abdellatif Hammouchi n’oublie pas ses proches qui se sont privés pour lui permettre d’obtenir son diplôme universitaire.
Hamidou Laânigri, le mentorLes éléments biographiques que le journaliste d’Assabah a recueillis auprès d’un proche d’Abdellatif Hammouchi sont complétés par le précieux témoignage d’une personne qui a travaillé avec lui. Nous apprenons ainsi que c’est le général Hamidou Laânigri qui a découvert Hammouchi, l’a pris sous son aile protectrice et a servi de mentor à ses premiers pas dans le renseignement. Laânigri, qui a vite pris la mesure du talent du jeune Hammouchi, l’a présenté comme «l’avenir des renseignements au Maroc». Et le général Laânigri d’ajouter qu’il pouvait être plus expérimenté, mais que la culture occidentale de Hammouchi, doublée de sa profonde connaissance de la culture arabo-musulmane, faisait défaut aux personnes de la génération de Laânigri, essentiellement nourries par les archétypes des services de renseignements occidentaux, ainsi que par l’héritage de la guerre froide.
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Abdellatif Hammouchi, qui avait accompagné le général Laânigri à des rencontres internationales, présentait un profil aux antipodes de son mentor et de nombre d’agents de renseignements. Aux cigares et aux restaurants étoilés, il préférait la lecture du Coran et un repas frugal.
Pieux, Abdellatif Hammouchi a un seul vœu: accomplir le pèlerinage dans les lieux saints en compagnie de sa famille. Ses fonctions ne peuvent le dispenser d’une constante veille, inhérente à sa mission. Il ne peut en effet se soustraire aux messages urgents et son téléphone est pratiquement l’appendice du premier sécuritaire du Royaume.
L’œil de Hammouchi sur Al-Qaïda est le messager d’Oussama Ben LadenDans les rencontres internationales auxquelles il avait pris part en compagnie de Laânigri, le jeune Hammouchi, au profil atypique, s’est vite forgé, grâce à des analyses brillantes, la réputation d’un spécialiste du terrorisme islamiste.
Hammouchi avait une connaissance de l’intérieur du groupe terroriste Al-Qaïda grâce à un informateur infiltré au cœur même de la garde rapprochée d’Oussama Ben Laden dans la périphérie d’Abbottabad, au Pakistan. La CIA, pourtant puissant service de renseignement américain, n’avait découvert que le mystérieux porteur des messages de Ben Laden à ses lieutenants au Pakistan, Alif Khan Pachtoune, était, en fait, l’œil d’Abdellatif Hammouchi à Al-Qaïda qu’après le dépouillement du précieux trésor découvert dans le domicile même du chef de cette organisation terroriste.
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Les informations qui couraient avant le dépouillement du butin de guerre trouvé dans le domicile de Ben Laden concouraient toutes à identifier son messager comme Abou Mohamed Al-Kuwaiti. Ce précieux informateur, dont Abdellatif Hammouchi conserve le vrai passeport dans le coffre-fort de son bureau, avait été exfiltré d’Abbottabad grâce à la précieuse collaboration de la DGED -la Direction générale des études et de la documentation-, les services de renseignements extérieurs que dirige Yassine Mansouri. L’homme avait ensuite été conduit dans un autre pays, où il mène une paisible retraite, payée par le Royaume, après les services qu’il a rendus aux renseignements marocains.
Un autre fait d’armes raconté par ce témoin privilégié du parcours de Abdellatif Hammouchi au journaliste d’Assabah a trait à l’attaque terroriste, menée du 16 au 19 janvier 2013, contre le complexe gazier In Amenas en Algérie. Cette attaque avait coïncidé avec une tournée du roi Mohammed VI dans un pays voisin, ce qui avait mis en alerte les services marocains d’espionnage et de contre-espionnage qui s’étaient mobilisés pour sécuriser le déplacement du chef de l’Etat.
Avant qu’aucune agence de presse ne parle de l’attaque d’In Amenas par un groupe terroriste, les services marocains avaient partagé l’information avec leurs homologues français, qui n’étaient pas encore au courant.
C’est cette force de frappe de Hammouchi, et la place qu’il s’est taillée dans le dispositif sécuritaire du pays, qui expliquent en partie que le Maroc a considéré comme une affaire d’Etat la plainte déposée contre lui en France, ainsi que le débarquement de policiers français, envoyés par un juge d’instruction au domicile de l’ambassadeur marocain à Paris.
Bien avant cette descente scandaleuse au domicile de l’ambassadeur marocain, Abdellatif Hammouchi avait informé l’autorité politique du pays qu’une personne organisait des réunions avec de prétendues victimes à l’hôtel George V à Paris, en vue de leur conseiller les bons avocats pour une plainte à déposer contre le patron du contre-espionnage marocain.
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Cette affaire a permis de comprendre que le Maroc ne badine pas avec l’atteinte à ses institutions et aux hommes qui les dirigent.
De Branès à la cour des grandsLes faits d’armes d’Abdellatif Hammouchi lui valent aujourd’hui la considération des puissances mondiales. Tout le monde se souvient de la visite du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, le 5 décembre 2019, chez Abdellatif Hammouchi à Rabat. Alors que le secrétaire d’Etat américain avait effectué une visite éclair chez le Chef du gouvernement et eu un bref entretien avec le ministre des Affaires étrangères, il avait passé du temps avec le patron du contre-espionnage marocain. C’est que Pompeo connaît bien son interlocuteur. Avant d’avoir été nommé secrétaire d’Etat des Etats-Unis en 2018 par le président Donald Trump, il avait occupé, en effet, un poste aux missions sécuritaires cruciales: il a en effet été, de 2017 à 2018, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA).
Les services de renseignements russes ont, eux aussi, de la considération pour Abdellatif Hammouchi. En 2016, il avait été reçu par le premier secrétaire du Service fédéral de sécurité nationale, Nikolaï Platonovitch Patrouchev, soit le premier responsable sécuritaire de la Fédération de Russie. Cette même année 2016, Abdellatif Hammouchi a également été reçu en audience par le président de la République tchétchène, Ramzan Kadirov, qui n’est pas d’ailleurs le seul chef d’Etat à s’être entretenu avec le premier sécuritaire au Maroc. Tout le monde se souvient de la façon chaleureuse dont l’émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, a reçu, en octobre 2018, Abdellatif Hammouchi à Doha.
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Le chemin parcouru par l’enfant de Branès ne lui fait pas oublier d’où il vient. Réputé très proche de ses hommes, il ressent dans sa chair ce qu’ils endurent et porte un regard attentif sur le bien-être de leur famille, notamment en réformant de fond en comble le statut des agents de police et en accordant davantage de droits sociaux à leur famille. Infatigable réformateur, Hammouchi a réussi à changer l’image de la police au Maroc qui est davantage citoyenne. Cette réalisation n’est pas moins importante que les succès qui ont fait la réputation du contre-espionnage marocain dans le monde.