Reconnue mondialement pour son professionnalisme, l'Agence France Presse (AFP) -que la constitution française définit comme un organe "indépendant"- n'a pas généralement le temps de palabrer sur les faits divers qui se produisent dans l’Hexagone. L’AFP s’est par exemple abstenue de relayer la énième bavure des policiers de la République survenue à Douai (dans le nord de la France), fin septembre: un couple de Guinéens a passé 20h de garde à vue, soupçonné d’utiliser de la fausse monnaie, juste pour avoir essayé de régler ses achats dans un supermarché en présentant un billet authentique de 500 euros. Une histoire dramatique qui signifie honteusement que, dans l'imaginaire collectif de nos amis les Français, "tout Africain en possession d’une grosse est présumé faussaire… jusqu’à preuve du contraire".
Mais quand il s’agit de l'autre côté de la méditerranée, notamment au Maroc, les journalistes de l'AFP mettent en œuvre tout leur talent pour monter la mayonnaise en scénarisant des faits divers. Les dépêches de nos confrères du bureau de l’agence à Rabat sont souvent clairsemées de phrases tendancieuses, où chaque mot est minutieusement choisi pour mettre en doute la version des autorités. Celle-ci est lapidairement évacuée avec la formule d’usage: "Contactées, les autorités n'ont pas pu pour le moment être jointes". Bien pratique, trop facile…
Comparaison n’est pas raison
Cette formule bien accommodante, l’AFP nous l’a encore servie dans sa dépêche du 10 octobre 2014, pour s'apitoyer sur le cas d'un jeune rappeur casablancais de 17 ans surnommé "Mister Crazy". L’adolescent est accusé par le juge des mineurs de "détournement des paroles de l'hymne national", "insultes à corps constitués", "propos immoraux" et "incitation à la consommation de drogue" et ce, pour avoir diffusé sur Youtube des clips vidéo simulant des scènes agressives. Présenté comme un fait d’actualité, il s’agit pourtant d’un fait divers sorti du congélateur: les péripéties de cette histoire ont débuté le 9 août dernier. Et surtout, qu’y a-t-il de si extraordinaire dans le fait que les autorités marocaines, via le tribunal des mineurs, engagent souverainement des poursuites contre le jeune auteur de ce clip qui appelle directement à la violence juvénile? Faut-il rappeler à l’AFP que la France a fait pareil -au début des années 1990- quand elle a condamné les membres du groupe "NTM" ("Nique Ta Mère") à trois mois de prison ferme et trois autres avec sursis en plus d’une interdiction de six mois de concert pour leur charge incendiaire contre la police?
"L7a9ed" in the place
En réalité, les journalistes de l'AFP à Rabat ne sont pas intrinsèquement préoccupés par les péripéties judiciaires de "Mister Crazy". Ce qui les intéresse le plus, c'est d'apporter un petit réconfort à l'AMDH qui est particulièrement chagrinée par le fait que son poulain, le rappeur Mouad Belghouat, plus connu sous le nom de "L7a9ed", n'ait pas été retenu, le 7 octobre dernier, parmi les trois finalistes du prix Sakharov, décerné chaque année par le Parlement européen. Ce n’est pas un hasard si la moitié de la dépêche de l'AFP sur "Mister Crazy" a été consacrée à "L7a9ed", histoire qu’il ne tombe pas dans l'oubli médiatique en attendant éventuellement une nouvelle nomination pour un autre prix. Qui sait? Peut-être bien que le ministre français de la Culture proposera sa candidature pour le faire "chevalier des arts et des lettres". Et cela créera certainement le "buzz" à l'AFP de Rabat, mais pas chez les Marocains qui ont compris, depuis bien longtemps, le petit jeu tendancieux auquel s'adonne cette agence dans sa manière de traiter l'actualité du royaume.