Le patron de Tesla et de SpaceX veut posséder le réseau des gazouillis dans le but affiché d'en faire un bastion de la liberté d'expression, essentiel à la démocratie.
Il a aussi évoqué la fin des spams et de la publicité, des algorithmes «open source» et la diversification des sources de revenus.
Mais ces idées lancées à la volée ne constituent pas un plan cohérent, voire se contredisent entre elles, pointent les observateurs.
La modération des contenus, d'abord. «Il va avoir un choc terrible quand il va découvrir à quoi ça ressemble vraiment», a tweeté Benedict Evans, un analyste indépendant spécialiste de la Silicon Valley.
«Dans les années 1990, beaucoup de pionniers de l'internet avaient cette éthique libertarienne. Ils pensaient que toutes les opinions devraient pouvoir être débattues sur des forums publics», raconte Chris Bail, professeur de sociologie à l'université Duke. «C'est beaucoup plus complexe».
EquilibrismePour définir les limites, Elon Musk veut s'en tenir à la loi. Problème: Twitter doit composer avec de nombreuses législations différentes.
Les spams, au regard de la loi américaine, peuvent ainsi être considérés comme du ressort de la liberté d'expression, note Chris Bail.
En Europe, par contre, des hauts responsables ont immédiatement rappelé que toutes les plateformes vont devoir mieux lutter contre les contenus illégaux, en vertu d'un nouveau règlement.
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Et en pratique, ouvrir la porte à la désinformation et à certaines formes de harcèlement peut faire fuir de nombreux utilisateurs et annonceurs. Les réseaux sociaux de la droite américaine, dont le mot d'ordre est la liberté d'expression, ne font d'ailleurs pas recette.
Facebook et les autres ont tenté de définir des règles communes, sans convaincre, accusés de laxisme par la gauche et de censure par la droite, comme par Elon Musk.
«Twitter n'est pas une communauté, c'est beaucoup de communautés pas du tout d'accord entre elles», explique Casey Fiesler, professeure d'éthique numérique à l'université de Colorado Boulder.
Une blague pour les uns fait figure d'incitation à la violence pour les autres.
Cuisine interneElon Musk prône par ailleurs plus de transparence sur les algorithmes qui organisent les tweets, donnant la priorité à certains plutôt qu'à d'autres, en fonction de chaque profil.
Cette proposition de rendre les programmes accessibles («open source») suscite un certain enthousiasme de la part d'utilisateurs souhaitant «voir» les algorithmes.
«Je ne sais pas ce qu'ils s'imaginent. Il n'y a pas d'instructions, ce n'est pas comme une recette de sandwich au beurre de cacahuètes!», commente Casey Fiesler.
«C'est un système de 'machine learning' (apprentissage informatique automatisé), qui dépend énormément des données récoltées», poursuit-elle. L'ouvrir risque donc de poser des problèmes de confidentialité.
«C'est une idée noble, motivée par le désir de donner plus de contrôle à chacun», admet Chris Bail.
Mais elle risque de faciliter le travail des «trolls» et autres acteurs nuisibles qui veulent propulser leurs messages en haut de la pile.
Quant aux utilisateurs, «ils pourraient choisir de ne voir que les contenus qui les arrangent, et s'enfermer encore plus dans leur caisse de résonance», ajoute-t-il.
En contradiction avec la vision de «place publique» du multimilliardaire.
CashCertaines suggestions d'Elon Musk risquent par ailleurs de nuire au modèle économique de la plateforme, fondé sur la publicité. Il désapprouve cette source de revenus, qui nécessite de toute façon de lutter contre les contenus toxiques.
«Ce n'est pas clair s'il veut créer de la valeur ou s'en tenir à un objectif philosophico-social», remarque Gustavo Schwed, professeur de finance à l'université NYU.
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Mais même si c'est l'homme le plus riche du monde, l'entrepreneur va devoir faire en sorte que Twitter génère plus de profits.
Ses prêts bancaires contractés pour l'opération sont en effet adossés à ses actions Tesla, mais aussi aux bénéfices dégagés par Twitter... qui a fini 2020 et 2021 dans le rouge.
D'après ses tweets, Elon Musk voudrait dynamiser les abonnements payants, monétiser la diffusion des tweets très populaires ou encore payer des créateurs de contenus.
«Il a eu beaucoup de succès comme homme d'affaires et dans l'ingénierie. Mais là, il ne s'agit pas d'apprendre à une voiture à se conduire elle-même, c'est un produit humain», souligne Chris Bail.
«Prédire le comportement d'un seul humain est compliqué. Et l'enjeu, chez Twitter, c'est de prédire celui d'immenses ensembles de personnes».