La France ne lâche pas prise concernant l’ignoble assassinat de 7 moines à Tibéhirine, il y a 25 ans, en Algérie. Les médias français aussi. A l’époque, on avait attribué cet atroce massacre au GIA (Groupes islamiques armés) qui écumaient le pays et assassinaient à tour de bras lors de ce qu’on appelle désormais «la décennie noire».
Le 9 avril dernier, Le Figaro a dévoilé le récit détaillé d’un ancien agent qui accable les services secrets algériens. La thèse d’une manipulation, étayée par des rapports d’expertises, se renforce. «Vingt-cinq ans après la tragédie, les zones d’ombre peinent à se dissiper dans l’enquête hors norme sur l’assassinat des sept moines de Tibéhirine, enlevés dans leur monastère dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, alors que le pays était en proie à la guerre civile. Bien que la version officielle désigne le Groupe islamique armé (GIA), la thèse d’une manipulation des autorités algériennes s’est trouvée confortée par les conclusions d’autopsies effectuées sur les têtes des religieux ainsi que par de troublantes incohérences de calendrier», dévoile le magazine français.
«Une pierre, jusqu’ici partiellement enfouie dans la procédure, pourrait bien achever de fragiliser la piste d’un attentat islamiste. Venant du cœur même des services secrets algériens de l’époque, elle est portée par Karim Moulai qui dit avoir travaillé entre 1987 et 2001 pour l’ex-Direction du renseignement de la sécurité (DRS, dissoute en 2015)», explique Le Figaro.
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Selon le magazine français, Karim Moulai était lui d’infiltrer les organisations de jeunesses algériennes et les universités, avant de s’occuper de la logistique de la DRS et de finir par s’exiler, depuis janvier 2001 au Royaume-Uni, où il a demandé l’asile politique.
«Hostile au régime après avoir assisté, dit-il, à l’assassinat d’un directeur d’université en 1994 par la DRS, Moulai se serait senti menacé par ses anciens collègues. En particulier après avoir confessé, en 2010, l’implication des services algériens dans l’attentat de l’hôtel Atlas Asni de Marrakech en 1994. Depuis lors, l’homme est la cible de rancœurs tenaces, à l’origine d’une première agression, en 2012, et manifestement exacerbées depuis qu’il a accusé l’ex-DRS d’être impliquée dans la mort des moines», écrit le magazine français.
Le Figaro explique qu’une note des renseignements français, datée du 17 janvier 2021, affirme que Karim Moulai affirme même avoir fait l’objet de menaces de mort dans un courrier électronique adressé en 2015 au juge antiterroriste Marc Trévidic, alors encore en charge de l’instruction de l’affaire Tibéhirine.
«Dans sa lettre, accompagnée de captures d’écran où apparaissent des montages photos et la façade de son immeuble, l’ex-agent algérien dit avoir été «cyber-harcelé» puis «contacté téléphoniquement à plusieurs reprises» pour lui demander de «changer sa version mettant en cause la DRS dans la mort des moines et d’impliquer le Groupe islamique armé», détaille Le Figaro.
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«Mais Moulai a, semble-t-il, refusé de céder, fidèle aux faits tels qu’il les décrit le 22 mai 2012. Devant deux inspecteurs de la police écossaise, venus l’entendre comme témoin dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, l’ex-agent livre un récit explosif et détaillé, consigné dans un procès-verbal porté à la connaissance du Figaro», lit-on dans cette enquête explosive.
Le (vrai) film des événements«Revenant sur la genèse de l’enlèvement des moines de Tibéhirine, en 1996, Moulai, qui évoque l’existence d’un mystérieux «cercle de la mort» et affirme que, dans la région montagneuse de Médéa où est établi le monastère des cisterciens, de «véritables groupes islamistes» sont en «désaccords perpétuels» avec des «faux» commandos montés par la DRS pour manipuler l’opinion», narre le média français, qui affirme que les moines avaient conclu un accord en 1993 pour apporter une aide médicale aux islamistes en échange de leur sécurité.
La DRS aurait demandé aux moines, selon le journal français, de quitter l’Algérie, «sans qu’il y ait de contact formel». Mais les choses ont mal, très mal tourné par la suite et la DRS a fomenté un enlèvement qui n’en était pas vraiment un. «Lors des «préparatifs de l’enlèvement», les services algériens, toujours selon Moulai, auraient fait monter la pression en projetant, dès l’automne 1995, «l’enlèvement d’ambassadeurs de pays arabes et européens», puis celui de l’attaché militaire de l’ambassade de France. «Mais le projet avait été annulé par un fonctionnaire du département de l’évaluation des risques», est-il précisé», affirme Le Figaro.
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«En 1996, l’Algérie avait besoin de gagner une crédibilité internationale et de s’assurer du soutien de la France dans la lutte contre les islamistes», ajoute la même source.
«Le 24 mars, une «réunion importante» aurait été déclenchée à Blida par les officiers de la DRS, parmi lesquels Abdelkader Tigha, pour préparer l’enlèvement des moines. L’«émir» Zitouni, marionnette des services, aurait alors été désigné pour exécuter la sale besogne. «Le projet était de les enlever et de négocier leur libération avec la DST et la DGSE pour mettre la pression sur les autorités françaises, résume le document relatant la version de Karim Moulai», poursuit Le Figaro.
Selon le magazine français, Zitouni devait garder les religieux, jouer un rôle d’intermédiaire, puis l’armée monterait une fausse opération de libération. Un premier commando, composé de membre des services algériens et de repentis islamistes, aurait conduit les moines, les yeux bandés, au «Centre de traitement, de recherche et d’investigation» (CTRI) de la caserne de Blida.
«Les otages auraient ensuite été «pris en charge» par un second commando composé du GIA de Zitouni avant d’être emmenés dans le maquis. Mais le scénario aurait pris un tour inattendu lorsque de vrais djihadistes, conduits par un dénommé Abou Mossab, ont tenté de leur mettre la main dessus. Pris de court, les ravisseurs auraient été contraints de «faire deux allers-retours» entre le maquis et la caserne de Blida pour «mettre les otages en sécurité», écrit Le Figaro.
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Dans la panique, «une opération militaire mobilisant des hélicoptères et des parachutistes aurait été mise en scène «pour montrer que l’armée algérienne cherchait les moines». Leurs têtes seront retrouvées sur le bord d’une route le 30 mai 1996. Consignée sur procès-verbal et contestée avec la plus grande véhémence par Alger, cette thèse d’une implication de ses services est à la fois grave et impossible à recouper», explique l’enquête de l’hebdomadaire français. Une version considérée comme sérieuse par les parties civiles, explique toutefois le journal.
«Ce témoin apparaît comme ayant été au cœur du système et ses déclarations, qu’il n’a pas formulées à la légère au regard des risques encourus, en recoupent d’autres énoncées par d’anciens officiers algériens», observe Me Patrick Baudouin, avocat des familles des victimes qui mènent depuis un quart de siècle un inlassable combat pour obtenir la vérité. Outre Abdelkader Tigha et Karim Moulai, Mohammed Samraoui, un autre ancien des services de sécurité, a également soutenu que le GIA était instrumentalisé par la Sécurité militaire», écrit Le Figaro.
«Outre les témoignages déjà recueillis et les indices scientifiques réunis, les enquêteurs avaient ciblé une vingtaine de témoins encore jamais entendus. Parmi ces personnages clés figurent d’anciens repentis du GIA mais aussi de présumés «geôliers» qui auraient transporté ou séquestré les prisonniers dans une maison surnommée Dar el-Hamra («la Maison rouge»), au lieu-dit de Tala es-Ser, dans la région de Médéa.
«On ne lâchera pas», prévient Me Baudouin», relayé par Le Figaro.