Mardi 11 août. Le bureau de l’AFP à Rabat a publié une dépêche sous ce titre: «Maroc: manifeste d'artistes contre la “répression“ et la “diffamation“». Cette dépêche relaie une pétition publiée par une poignée d’artistes (dont beaucoup ont demandé le retrait de leurs signatures depuis), ainsi que des journalistes, dont un grand nombre de pigistes, et des «travailleurs culturels». Alors que les signataires de cette pétition l’ont nommé «manifeste des artistes et des travailleurs culturels marocains», l’AFP a modifié la qualité des signataires en parlant uniquement des artistes, faisant ainsi l’impasse sur les «travailleurs culturels» qui constituent pourtant le gros du contingent des pétitionnaires. Pour une agence, supposée être fidèle à l’information, l’ellipse des «travailleurs culturels» est pour le moins surprenante.
Il y a mieux encore. Le lead (qui constitue la partie la plus importante dans une dépêche) transforme «travailleurs culturels» en «acteurs» et augmente volontairement le nombre des signataires: 400 devient «plus de 400». Dans le texte, cela donne: «plus de 400 artistes et acteurs marocains dénoncent dans un manifeste la “répression policière“ et la “diffamation“ de la part de médias proches du pouvoir qui cherchent à faire taire les voix critiques, évoquant la peur ressentie par la communauté artistique et culturelle au Maroc». L’AFP a enterré les «travailleurs culturels». Compte tenu de leur grand nombre, ce n’est pas dans une tombe qu’elle les a enterrés, mais dans une fosse commune.
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Nous avons donc un «manifeste des artistes et des travailleurs culturels marocains», lequel revendique 400 signataires, et qui devient, sous la plume de l’AFP, «plus de 400 artistes et acteurs marocains dénoncent dans un manifeste la “répression policière“». Cette sélection dans les données, ainsi que leur modification, porte un nom: cela s’appelle de la désinformation. En laissant croire que cette pétition est signée par «400 artistes», l’AFP fournit à ses abonnés une infox.
Le 25 août 2020, une pétition intitulée «Les artistes et les créateurs marocains font confiance aux institutions de leur pays» est lancée. Tous les signataires se comptent parmi la communauté des artistes et des créateurs. Contrairement à la pétition dite des «400», il n’y a pas d’intrus au champ de l’art et de la création. L’architecte Rachid Andaloussi, l’un des initiateurs de cette contre-pétition, en compagnie de l’artiste peintre Mohamed Melehi, du musicien Moulay Ahmed Alaoui et du plasticien Mohammed Mansouri Idrissi, a cherché à entrer en contact avec l’agence de presse française. Dans une déclaration à Le360, il explique qu’il a envoyé, le 25 août en fin de matinée, au bureau de l’AFP à Rabat, le communiqué de presse relatif à la pétition de 670 artistes. «Comme l’AFP avait relayé la première pétition des 400 en laissant croire que les artistes marocains sont en guerre contre leur pays, j’ai considéré que cette agence avait le devoir de relayer la deuxième pétition», affirme-t-il. Et d’ajouter: «comme il n’y a pas eu de suite donnée par l’agence au communiqué de presse, j’ai appelé le lendemain Mme Sophie Pons, directrice de AFP-Rabat, pour demander un droit de réponse».
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Rachid Andaloussi, l’un des fondateurs de Casa-Mémoire, qui est habitué à parler aux médias, affirme avoir subi de la part de la directrice du bureau de l’AFP à Rabat «un traitement d’une agressivité inouïe». «Un interrogatoire! En 30 ans d’échanges avec les journalistes, je n’avais jamais vu cela!», affirme l’architecte de renom, qui a réalisé certains des plus beaux bâtiments culturels au Royaume, comme le grand théâtre de Casablanca avec Christian de Portzamparc, la Bibliothèque nationale de Rabat ou la réhabilitation de la Villa des Arts à Casablanca.
Par une série de questions intimidantes, Sophie Pons aurait cherché à mettre en doute le caractère spontané de cette pétition. «Comment avez-vous obtenu mon téléphone? Vous vous réunissiez comment? Comment avez-vous contacté tous ces artistes en ces temps de pandémie? Comment vous avez procédé pour toucher tout ce monde?»… L’entretien a duré près de 20 minutes, selon Rachid Andaloussi. De ces 20 minutes, seulement 48 mots ont été retenus par Sophie Pons dans une dépêche publiée ce vendredi 28 août, sous ce titre: «Maroc: guerre de pétitions autour de la liberté d'expression».
Dans cette deuxième dépêche, la directrice du bureau de l’AFP à Rabat apporte encore une fois la preuve d’une partialité criante et d’un parti pris férocement ancré. Alors que cette deuxième dépêche se compose de 674 mots, seulement 93 sont consacrés à la pétition «Les artistes et les créateurs marocains font confiance aux institutions de leur pays». Pas un mot du communiqué de presse ou du texte de cette pétition n’est cité. Bien au contraire, cette pétition devient un prétexte pour énumérer tous les appels douteux contre le Royaume. Ainsi «Une récente tribune critique soutenue par plus de 150 personnalités qui dénonce une “machine répressive“», «une lettre ouverte signée par 110 journalistes marocains», «une pétition signée par plus de 130 personnes, parmi lesquelles trois anciens ministres», ainsi que la liste des soutiens de Omar Radi sont reprises avec de larges extraits de leur littérature.
Sophie Pons a transformé le droit de réponse que réclamait Rachid Andaloussi en un réquisitoire contre la communauté des artistes marocains qui ont signé une pétition, qui totalise, à ce jour, 750 signataires.
Les idées et les positions de Sophie Pons la concernent, mais elle a le devoir, en tant que salariée d’une agence gouvernementale française, de mettre ne serait-ce que les formes dans le traitement tendancieux des actualités au Maroc. Dans son parti pris, la directrice du bureau de l’AFP à Rabat en oublie même de faire semblant d’être professionnelle.