Dans une analyse publiée mardi 30 novembre 2021, sur son site sous le titre «Maroc-UE: le grand reset?», le magazine panafricain Jeune Afrique souligne que «la décision de l’instance européenne, bien qu’elle soit d’ordre juridique et non politique, induit aux yeux du Maroc une ambivalence des Etats européens sur la question du Sahara, une ambiguïté avec laquelle Rabat est de moins en moins disposé à composer. D’où la menace royale (dans le dernier Discours de l’anniversaire de la Marche verte) de mettre fin à tout accord commercial et économique qui ne considère pas le Sahara comme un territoire marocain».
Selon Jeune Afrique, Rabat exige de «la clarté» dans les relations Maroc-UE, «quitte à remettre à plat tous les liens commerciaux et économiques avec l’UE, pourtant premier partenaire commercial et économique du Royaume». Et de souligner que «le message est adressé non seulement à l’UE, mais aussi à ses Etats membres, notamment les premiers partenaires du Maroc, l’Espagne, la France et l’Allemagne, qui affichent des positions ambiguës sur le dossier du Sahara, comme en atteste la dernière crise diplomatique avec Madrid sur l’affaire Brahim Ghali, ou les tensions avec l’Allemagne, qui a été le seul pays européen à réagir après la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara en convoquant une réunion du Conseil de sécurité à ce sujet».
«Quant à la France, le Maroc semble ne plus tolérer son jeu d’équilibriste entre Rabat et Alger, qui se traduit par une sorte de neutralité négative… Désormais, pour le Maroc, c’est le «qui m’aime me suive…» qui prévaut», relève le magazine. «Institution bureaucratique, où le circuit des décisions est parfois long, traversée par des courants politiques qui s’opposent en tout, l’UE parviendra-t-elle à mettre ces divergences de côté pour ne pas compromettre des intérêts stratégiques? Rien n’est moins sûr», affirme Jeune Afrique.
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Reste que dans ses accords de libre-échange, poursuit l’auteure de l’analyse, l’UE est la partie gagnante dans l’affaire, avec un solde positif de ses échanges avec le Maroc. Elle bénéficie également de conditions très favorables pour l’investissement. Une annulation des accords agricoles et de pêche priverait également les bateaux européens, espagnols notamment, de pêcher dans les eaux marocaines, très riches en ressources halieutiques et qui alimentent tout le continent.
Idem pour les produits agricoles marocains, qui viennent combler le déficit européen en matière de production agricole, notamment sur les primeurs et les fruits. Sans parler de la collaboration sécuritaire et politique qui s’est révélée très utile dans la lutte contre le terrorisme en Europe et la gestion des flux migratoires.
Toutefois, affirme Jeune Afrique, «le Maroc a aussi beaucoup à perdre dans le cas où les relations avec l’UE étaient, sinon suspendues, du moins drastiquement réduites. L’Europe est sa première destination d’export». «Mais du point de vue marocain, la cause du Sahara n’a pas de prix, comme le rappelle un ancien diplomate marocain. Qui reconnaît, à demi-mot, que le coup de poker tenté par la diplomatie marocaine est très risqué», souligne le magazine.
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«Car même avec son fonctionnement complexe, le Conseil européen a montré, selon l’ancien diplomate marocain, sa volonté de régler le problème relatif aux règles d’origine des produits provenant du Sahara, puisque tous les pays du Conseil ont décidé à l’unisson de déposer un recours devant la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour casser l’arrêt du Tribunal européen. Un recours qui a été décidé par les ambassadeurs des 27, six semaines après la décision de justice, et qui a été adopté officiellement par le Conseil des ministres des Affaires étrangères des pays de l’UE», poursuit le magazine.
«Les Etats de l’Union européenne, hormis la Suède qui a des positions différentes, ont conscience des enjeux de la relation avec le Maroc et ont intérêt à ce que les accords commerciaux, agricoles et de pêche restent valides, et veulent même les renforcer. Mais la décision ne leur appartient pas complètement, la justice européenne étant indépendante. L’UE, qui est une entité de droit, est obligée de suivre les arrêts et les décisions de son système judiciaire», explique cette source.
«Ce qui pose aujourd’hui un gros dilemme, rendu encore plus 'cornélien' avec la carte montrée par le Maroc dans ce jeu diplomatique de haute voltige», affirme Jeune Afrique qui avance deux scénarios envisageables aujourd’hui: «si la CJUE casse la décision du Tribunal européen, il n’y a plus de sujet, et les deux parties (Maroc et UE) sortiront gagnantes. Mais si la CJUE va dans le sens du Tribunal européen, que se passera-t-il?».
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Selon le Magazine, «le Maroc a déjà répondu par la voie de la plus haute autorité du pays et ne reviendra pas en arrière: les accords commerciaux et économiques seront suspendus». «Mais l’UE peut-elle se passer de son partenariat avec le Maroc? Le Royaume dispose-t-il d’arguments suffisants pour amener l’UE à reconnaître la marocanité du Sahara et aller à contresens de la décision de sa justice? C’est la question à 1 milliard…», affirme Jeune Afrique, ajoutant, citant le diplomate marocain, que «ni le Maroc ni l’UE n’ont intérêt à ce que ces accords soient rompus».
«L’UE ne peut pas aller contre la décision de la Cour européenne. La seule carte qui restera, c’est que chaque pays de l’UE qui veut maintenir des accords avec le Maroc reconnaisse la souveraineté marocaine sur le Sahara. Car, de toute façon, en tant qu’institution, l’UE ne peut pas reconnaître la souveraineté d’un territoire. L’UE n’est pas un Etat, et sa Constitution ne lui donne pas ce genre de prérogatives», estime un Marocain fin connaisseur du fonctionnement de l’UE.
«Le Maroc sait que l’UE ne peut prendre seule de telles décisions, poursuit cette source familière de l’institution. Et en particulier le Roi, qui est un spécialiste de l’UE, puisque c’était le sujet de sa thèse de doctorat à Bordeaux. Sa démarche consiste peut-être à pousser les Etats un par un à prendre la même décision que les Américains et de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Mais je pense que cela ne sera pas possible, notamment avec les grands pays qui comptent dans l’UE, comme la France, l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Car l’UE est d’abord une union de droits, de valeurs. Donc pour eux, le droit prime. S’il y a un processus engagé à l’ONU, les Etats de l’UE n’en sortiront jamais», explique cette source au magazine.
Citant la sénatrice de Seine-Maritime, membre de la commission des affaires européennes et secrétaire du groupe d’amitié interparlementaire France-Maroc, Catherine Morin-Desailly, Jeune Afrique estime que la présidence française du Conseil européen qui démarrera le 1er janvier 2022 pourrait avoir un effet positif sur l’avenir des relations entre l’UE et le Maroc, au vu des relations solides qu’entretient le Royaume avec la France,
Une présidence française qui coïncidera avec le début du mandat de Youssef Amrani en tant qu’ambassadeur à Bruxelles, un diplomate chevronné qui est, selon Emmanuel Dupuy, le président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), «la personne idoine au vu du contexte», relève Jeune Afrique. «En attendant la décision de la CJUE, la présidence française et l’installation de Youssef Amrani, les jeux restent donc ouverts», conclut Jeune Afrique.