Entre le Maroc et l’Algérie, ce n’est pas seulement une question de voisinage et de frontières. Les deux pays sont liés par une histoire commune et des liens à la fois ethniques, culturels et cultuels. Le cas d’Abdelkader Bensalah, le successeur de Bouteflika, illustre, à lui seul, la complexité de ces relations entre les deux pays. Né de parents marocains sur le sol algérien, à Tlemcen, c’est à Nador qu’il a entamé sa vie active en tant que membre de l’Armée de libération nationale algérienne, en 1959, alors qu'il n’était âgé que de 18 ans.
Bensalah, président du Sénat, vient d’être propulsé sur le devant de la scène, et au sommet de l’Etat, suite à l’appel depuis Ouargla, dans le Sud algérien, du chef de l’armée, le général Gaid Salah, pour l’application de l’article 102 de la Constitution, attisant, par la même occasion, le débat soulevé depuis le début des manifestations sur les Algériens d’origine marocaine. L’homme, aujourd’hui âgé de 75 ans, a fait toute sa formation militaire au Maroc, relève le quotidien Al Akhbar dans un dossier qu’il a consacré à celui qui s’apprête à assumer les charges du chef de l’Etat.
C’est ainsi, relate le journal, que Bensalah, après avoir rejoint les rangs de l’ALN à Nador, a été envoyé à Larache où il appris le maniement des explosifs pour ensuite retourner à Zghenghen, près de Nador, où il a suivi une formation de commissaire politique. C’est d’ailleurs la fonction qu’il a assumée au sein de la 8e zone jusqu’à l’indépendance du pays. Dans les mémoires de l’ancien président Chadli Benjdid, une référence a été faite à Bensalah en tant que membre du groupe qui a lancé, avec Houari Boumediene, la radio algérienne depuis Driouech, une localité près de Nador. Le journal n’a pas manqué d’évoquer un incident entre feu Hassan II et Houari Boumediene au cœur duquel se trouve justement la ville de Nador. Ville où l’ancien président algérien a passé une partie de sa vie et où il souhaitait se rendre en visite.
Bref, pour revenir à Bensalah, Al Akhbar, citant cette fois un livre de Mohamed Sifaoui sur Bouteflika et son clan, précise qu’il n’a acquis la nationalité algérienne qu’en 1965, à l’âge de 24 ans. Il a ensuite travaillé au consulat marocain à Oran et, à ce titre, «a rendu en cette période de précieux services, non connus, à l’Algérie». Président du sénat depuis 2002, poste où il a été désigné suite à un différend entre l’ancien titulaire et le président Bouteflika, il a accédé à la politique par la porte du journalisme. Ainsi, après avoir quitté l’armée en 1962, il est parti faire des études de journalisme en Syrie. A son retour au pays, il a travaillé comme journaliste au quotidien «Ech-chaab», proche du pouvoir, qu’il a fini par diriger entre 1974 et 1977. Le journal s’est d’ailleurs distingué, à cette époque, par son hostilité franche envers le Maroc, relève Al Akhbar, surtout après la Marche verte.
Malgré cela, son directeur n’a pu échapper à une question qui l’a poursuivi pendant des années. Le journaliste qu’il était, et député qu’il sera plus tard pour trois mandats successif, s’est vu à de nombreuses reprises interpellé par des journalistes qui lui demandaient s’il était «Marroki» (Marocain). Au début, il les invitait à aller vérifier dans les archives de l’Etat civil à «Douar Lmehraz», puis il a fini par se contenter d’un silence évocateur.
Cela dit, d’après Al Akhbar, Bensalah a visité le Maroc plusieurs dizaines de fois, la dernière le 15 novembre 2016 pour représenter son pays à la Cop 22 à Marrakech. Et à chaque visite, note le journal, il a toujours tenu à se réunir avec l’ambassadeur algérien au Maroc.
Toujours en relation avec le Royaume, Bensalah, relève Al Akhbar, a tout fait pour que sa femme ne travaille pas au Maroc. Il y a même opposé son veto. En réalité, explique le journal, la jeune femme avait été désignée pour diriger le bureau de la compagnie aérienne algérienne au Maroc. Or, à la même époque, son époux, également fonctionnaire de la même compagnie, était en pause à Paris. C’est pour cela que le père est intervenu pour que sa fille puisse obtenir un poste près de son mari.
Evoquant un autre fait, qui n’est pas particulièrement lié à Bensalah, mais qui concerne, cette fois, le général Ahmed Gaid Salah, le journal rappelle qu’au début de 1970, un détachement de l’école d’Ahrmoumou participait à un défilé militaire en Algérie. Sa prestation a d’ailleurs été très applaudie. C’était avant la tentative de coup d’Etat de 1971. A la fin de la cérémonie, le directeur de l’école d’alors, le colonel Amokrane, a offert un cadeau symbolique sous forme de canon miniature au commandement militaire algérien. Gaid Salah, qui était alors secrétaire du ministère de la Défense, s’est exclamé: «C’est bien un cadeau explosif que vous nous offrez. Le preuve, son canon est dirigé vers l’Est». Et, écrit Al Akhbar, tout le monde a éclaté de rire.