La tempête médiatique soulevée par l’affaire du logiciel de cyberespionnage, Pegasus, entraîne bien des questionnements. Le consortium de 17 médias de renom, à l’origine de la publication de ce qui entend être un scandale planétaire, nous apprend qu’une quarantaine de pays ont acquis ce fameux logiciel espion, fabriqué par l’entreprise israélienne NSO. Pourtant, seulement onze pays, dont le Maroc, sont cités. Si l’on exempte Israël, le pays producteur, qui sont les au moins 29 autres Etats qui utilisent Pegasus? Pourquoi donc faire cette impasse de nommément les citer? Et pourquoi donc n’avoir pas mené d’investigations pour les identifier?
Pire, on nous apprend qu’une liste de 50 000 numéros a fuité de chez NSO et s’est retrouvée sous les yeux des membres de l’organisation Forbbiden stories. Ceux-ci sont en charge de coordonner, avec l’appui de l’ONG Amnesty international, la transmission de ce qui se veut être des informations, en direction des journalistes du groupe de 17 médias. Partie prenante dans cette affaire, leurs investigations ne se limitent pourtant, en fait, qu’à l’identification des propriétaires des numéros qui leur ont été transmis.
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Cette fuite est donc bien sélective. Sinon, comment expliquer que ni les identités des autres pays qui recourent à la cybersurveillance par Pegasus, ni les personnes dans leur viseur ne sont pas révélées ? En général, quand il y a une fuite, elle n’en concerne pas certains pour en épargner d’autres. Alors comment expliquer, dès lors, le caractère décidément très sélectif de cette fuite? Et comment expliquer, aussi, le lourd silence des médias qui ont mené des investigations sur les autres pays qui utilisent Pegasus?
De fait, un seul pays membre de l’UE est nommé: la Hongrie. Un pays régulièrement épinglé comme étant le «mauvais élève» de l’Union, non seulement en matière de droits de l’homme, de respect des libertés individuelles, mais qui est aussi, entre autres reproches, critiqué sur le fait ne pas être «suffisamment» européen. La Hongrie est aujourd’hui devenue la tête de turc de l’UE, alors même qu’il y a d’autres pays, parmi les 27, qui utilisent Pegasus. La question est donc lancinante: mais pourquoi donc le groupe de 17 médias, majoritairement occidentaux, ne les cite pas?
La cyber-surveillance ne serait-elle donc pas tolérée pour tous les Etats? Il y aurait, ainsi, à en croire ces 17 médias, des Etats responsables, comprenez les puissances occidentales, qui peuvent y avoir recours, et d’autres, jugés «pas assez mûrs», pour les utiliser? Ne serait-ce donc pas là, à les en croire, qu’un crime de lèse-majesté que de mettre entre les mains du Maroc ou du Rwanda un outil technologique identique à celui qu’utilisent des puissances occidentales, que ces journalistes se gardent d’ailleurs bien de citer?
Passons sur la liste, fuitée, qui épargne curieusement les puissances occidentales, et attardons-nous un peu sur les 10 000 numéros de téléphone qu’un journal de référence, Le Monde, attribue de façon péremptoire aux services de renseignements marocains. A aucun moment, ce journal ne nous explique comment il a pu établir un lien, étayé, entre ces 10 000 numéros et le Maroc. Le Monde disposerait-il donc de preuves secrètes sur la connexion établie entre ces numéros et les autorités marocaines?
Car en effet, le quotidien français cite sans sourciller pas moins de 10 000 numéros, pris en charge par les services marocains! Sait-on seulement de combien d’effectifs, en termes de ressources humaines, a besoin le Maroc pour surveiller 10 000 smartphones? Dans la communauté du renseignement, on dit que la surveillance d’un seul homme nécessite la mobilisation de dix agents. Le calcul est vite fait pour 10 000 hommes et femmes. Et quand bien même ce rapport serait nettement inférieur au prorata 1/10, il n’est certainement pas réaliste.
Le Monde indique aussi que le coût d’acquisition de Pegasus est «modique». Avec, comme arrière-pensée, de laisser entendre que le recourt à cette technologie de pointe serait low cost, et donc à la portée de pays moins riches. Mais ce journal de référence ne dit pas que le prix est indexé au nombre de numéros traités. Lors d’un procès intenté, en 2019, par WhatsApp à l’entreprise NSO, il a été dit que le Ghana avait établi un contrat avec l’entreprise israélienne, pour espionner 25 smartphones, moyennant la somme relativement modique de 8 millions de dollars. Même si NSO fait des ristournes et des gestes commerciaux substantiels en fonction du volume de numéros acquis, il n’est donc pas réaliste de penser que le Maroc puisse acquérir la surveillance de 10 000 smartphones, si l’on prend comme référence le coût mentionné dans le contrat établi par le Ghana et NSO, qui avait été révélé dans le cadre de ce procès.
Autre élément troublant dans les révélations du groupe de 17 médias, très majoritairement occidentaux: le roi Mohammed VI aurait été surveillé par ses propres services. NSO, pourtant peu encline à s’exprimer dans les médias, a apporté un démenti catégorique à cette révélation, de même qu’à celle de l’espionnage du smartphone du président français Emmanuel Macron. Pourtant, Le Monde continue de faire comme si ce démenti n’en était pas un, et s’entête à diffuser sa première version sensationnaliste. Quel serait le sens à apporter à cette allégation d’un espionnage de Mohammed VI par les propres services de Mohammed VI? Une allégation fantasmagorique, qui a été accompagnée sur l’un des sites de Radio France par un photomontage du portrait du Roi du Maroc et de celui du patron du pôle DGST/DGSN, Abdellatif Hammouchi. Ce dernier serait-il l’une des cibles de cette cabale médiatique, qui sait se faire mousser… de fait, à partir de rien?
Une chose est certaine: les renseignements marocains se sont beaucoup développés depuis que Hammouchi en a pris les rênes. Ces services de renseignement dérangent visiblement aujourd’hui, au point que certains oublient que l’efficacité de cette institution n’est pas liée à un seul homme. La rapidité avec laquelle ces mêmes services ont dévoilé le transfert, la ville et l’adresse où a été admis secrètement le chef du Polisario n’a vraiment pas été du goût de tous.
Pourtant, les services marocains coopèrent avec nombre de pays occidentaux et partagent avec eux des renseignements qui sauvent des vies. Le renseignement marocain repose sur l’élément humain, et non sur la technologie. Pour comprendre la nature complexe des réseaux qui rendent efficace ces services de renseignement, il suffit de se remémorer un exemple très parlant, qui a eu lieu à Casablanca. Dans un four public, vieille tradition des quartiers du Maroc où l’on va faire cuire son pain, le préposé au four, avait remarqué que l’un de ses clients, qui avait l’habitude de lui apporter quotidiennement deux pains, avait doublé sa consommation depuis une semaine. Interloqué par ce soudain changement dans les habitudes alimentaires de son client, le boulanger en avait informé le moqaddem de son quartier, agent d’autorité du ministère de l’Intérieur, qui en avait référé à son supérieur, la chaîne de commandement avait ensuite fait remonter l’information jusqu’à son arrivée aux services de renseignement. Ceux-ci ont par la suite découvert que le client de ce four public de Casablanca abritait d’autres personnes chez lui, avec, en plus, tout un arsenal pour tuer le plus grand nombre possible de civils. C’est ainsi qu’un attentat terroriste, parmi d’autres, a pu être déjoué.
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Donc, Pegasus ou non, l’élément fondamental du renseignement marocain repose sur des informateurs humains. Le Maroc, puissance régionale émergente et rayonnante, dérange-t-il tant que cela? Assurément, oui. De là à penser que cibler ses services de renseignements, la DGED et la DGST, en vue de les affaiblir, contribuerait à fragiliser le pays, fait sens et expliquerait, en partie, l’acharnement dont fait l’objet notre pays dans nombre de médias européens.
Le Maroc a catégoriquement nié toutes les allégations, rapportées dans les médias au sujet d’un espionnage de masse du Royaume par Pegasus. Mieux encore, dans un communiqué, l’exécutif a condamné une «campagne médiatique persistante et mensongère» et a affirmé qu’il allait engager des poursuites judiciaires, y compris à l’international. On verra alors de quelles preuves disposent donc Le Monde & co pour affirmer aussi péremptoirement que nos services de renseignements ont ciblé les smartphones de 10 000 personnes.