La guerre des services est une figure de style imposée dans le monde du renseignement. Ces guerres sont, en général, feutrées, dures, impitoyables, mais presque toujours discrètes ou silencieuses. C’est un milieu qui a ses lois, certes non écrites, mais toujours respectées par les protagonistes. Même dans la période la plus tranchante de la guerre froide, entre l’Est et l’Ouest, un minimum de déontologie professionnelle était respecté. Cela finissait toujours par des échanges au petit jour sur des ponts, ou sur des arrangements, qui permettaient finalement à tout le monde de rentrer au bercail.
Mais les choses ont beaucoup changé. Les services ne sont plus ce qu’ils étaient et leur éthique propre a quasi-disparu. La digitalisation fait évoluer les anciens procédés et a eu un impact sur la nature de l’exercice du métier lui-même. L’intelligence artificielle va remplacer l’intelligence humaine et le traitement de données massives va devenir impérieux et sera le premier enjeu de toute activité de renseignement. Plus ce défi technologique s’exacerbait plus les «bonnes manières» allaient disparaître.
L’affaire Pegasus, aujourd’hui, dont on veut faire du Maroc le protagoniste principal et une puissance mondiale dans le domaine du renseignement digital, est une des manifestations de cette dérive des services notamment ceux des pays du Nord. La règle est simple: ils écoutent tout le monde et tout le temps, c’est un attribut de leur puissance, mais personne ne doit les écouter. Ils n’ont pas vu l’évolution des choses et pu contrer le libre accès à de nouvelles technologies par des pays émergents.
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Pegasus, c’est quoi au juste? C’est un coup monté par un ou plusieurs services, pour disqualifier, par le truchement d’une campagne de presse massive, un autre service, en l’occurrence le marocain. Les raisons sont multiples, comme toujours.
La performance des services marocains de contre-espionnage dont le professionnalisme est reconnu mondialement a, ces derniers temps, considérablement affaibli l’activité du renseignement étranger au Maroc. Mieux, les «stringers» marocains de ces services ont été graduellement neutralisés ces dernières années, quand ils n’ont pas été tout simplement retournés.
L’hystérie collective autour du nom et du parcours de Abdellatif Hammouchi n’est compréhensible que sous cet angle. Ils ont commencé par louer son savoir-faire, pour l’amadouer, ensuite par le décorer, pour flatter son amour-propre, et ont fini, quand ils ont vu qu’aucune approche de récupération ne marchait, par le brûler sur un bûcher médiatique entretenu par l’indignité journalistique. Ils n’ont pas voulu comprendre que Abdellatif Hammouchi n’est pas un atome libre, que l’on peut réduire à souhait, mais un haut commis de l’Etat, inséré dans une chaîne de commandement sécuritaire qui monte jusqu’au chef de l’état-major suprême de l’armée du pays. C’est cela qu’il fallait comprendre, au lieu de se lancer dans une opération grossière de déstabilisation qui finira inéluctablement par ridiculiser tous ses auteurs et leur supplétifs obligés.
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Au niveau international, notamment africain, ces mêmes services hostiles, limités désormais dans leurs activités, sont très gênés par l’agilité, l’efficacité et la projection des services de renseignements marocains. Les Marocains sont devenus un acteur central dans le renseignement international, où ils marquent des points tous les jours, que ce soit dans la lutte contre le terrorisme, la radicalité religieuse, le narcotrafic ou la traite d'êtres humains.
La marge de manœuvre de ces services en Afrique s’est considérablement réduite. Leurs méthodes sont dépassées, leur réseau pointé, leurs correspondants signalés, leur technique obsolète, ils sont désormais face à une nouvelle réalité. Plus l’Afrique s’émancipe, prend conscience d’elle-même, prend en charge son destin, plus les manipulations et les micmacs du passé apparaissent contreproductifs, surannés et stériles. L’Afrique a changé –il y a de nouveaux joueurs autour de la table– mais les Européens, notamment, n’arrivent pas à se départir de leur posture néocoloniale.
Il est clair que le Maroc est un acteur continental de poids. Il a une politique africaine crédible, productive et endogène. Il a gagné ses galons en implémentant une politique réussie dans des domaines multiples: les télécom, la banque, l’assurance, l’immobilier, l’agriculture, l’aménagement urbain, les services, les énergies nouvelles, etc. Une politique d’investissement qui le met aux avant-postes dans ce qui se fait de mieux actuellement en Afrique. Cette réussite a aussi un coût. L’affaire Pegasus en est, semble-t-il, l’addition.
La bagarre pour les parts de marché en Afrique est planétaire. Russes, Chinois, Américains et Britanniques jouent au coude-à-coude. Les Européens avec une vision néocoloniale «coagulée» voient leurs positions s’affaiblir. Ils manquent de vision quant à la réalité de cette nouvelle Afrique. Ils manquent d’intelligence dans des situations géopolitiques fuyantes. Ils se trompent sur les nouveaux leaders qu’ils utilisent pour conforter leurs vieilles positions ou pour déstabiliser des régimes. En vérité l’Europe a tout faux. La situation lui échappe.
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Jusqu’à quand vont-ils utiliser, en des tripatouillages indignes, la question de l’intégrité territoriale du royaume du Maroc pour neutraliser tout le nord de l’Afrique? Un Maroc ralenti par cette affaire, une Algérie en faillite, victime de l’usage qu’elle en fait en politique intérieure, des séquestrés sans avenir vivant de l’aumône internationale, etc. Il a fallu que les USA reconnaissent la souveraineté pleine et entière du Maroc sur son Sahara pour que le château de cartes européen s’écroule. La France, l’Espagne et l’Allemagne montent alors au créneau, avec un coup «historique» de retard. Le jackpot a été raflé par les Américains, devant des Européens médusés.
L’accord tripartite entre les USA, le Maroc et Israël a changé la donne régionale. Les conséquences réelles et profondes de sa signature et de sa mise en œuvre ne sont pas encore totalement évaluées. Mais ce qui est acquis, c’est que la réponse européenne –à part cette affaire Pegasus complètement ridicule et contreproductive– est insuffisante. Incapables de lire les vrais enjeux méditerranéens, d’apporter des réponses crédibles et émancipatrices à l’Afrique, de concevoir une authentique politique arabe en faveur des peuples, les Européens se noient dans leurs contradictions sans politique étrangère commune, sans défense commune, sans une conscience collective de leurs intérêts nationaux ou fédéraux.
En face et sur le fond, dans un environnement complètement déstabilisé du Golfe à l’Atlantique –pratiquement toute la rive sud de la Méditerranée– où les Etats fragiles ou factices, militaires ou pseudo-civils, s’écroulent comme des dominos, la stabilité de la monarchie marocaine pose problème. Non seulement elle est stable, mais son émergence commence à gêner sérieusement dans des espaces où le statu quo néocolonial ne tient plus, où les positons de rente exclusive s’effritent.
C’est à cette équation nouvelle que l’affaire Pegasus devait répondre. Pegasus a échoué, car les acteurs de sa mise en œuvre ne sont pas crédibles. Amnesty International a perdu depuis longtemps sa crédibilité, car elle a abandonné toute méthodologie scientifique lisible dans sa démarche. On comprend ses obsessions, mais l’on ne comprend plus sa démarche. Tenter de faire tomber l’israélien NSO Group, en utilisant le Maroc dans une affaire préfabriquée d’espionnage massif, est une démarche puérile. Ni l’un, ni l’autre ne va se laisser faire.
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L’apporteur d’affaires «Forbiden Stories» est quant à lui caricatural. Son leadership est farfelu, corrompu et interlope, et son rôle de boîte postale est simplement comique. Il hérite de 50.000 numéros de téléphone qui tombent du ciel, une sacrée base de données, dont 10.000 numéros, qui, triés et livrés avec leur mode d’emploi par un mécène, seraient opérés par les services secrets marocains. Une aubaine. Jamais un plan aussi grossier n’a été imaginé même dans les services les plus incompétents.
Mais, là où la comédie prend tout son sens, c’est quand la syndication de presse entre en jeu. Ou plutôt: une conjuration de presse. On ne va parler que du Monde, le quotidien français qui, on le sait depuis «La face cachée du Monde», de Pierre Péan, n’est plus ce qu’il prétend être car c’est le seul journal dans cette camarilla qui s’entiche encore un peu d’éthique et de déontologie.
Le Monde n’a fait aucune vérification des données. Aucune enquête sérieuse. Il a sous-traité cette activité essentielle à des tiers, à des donneurs d’ordre. Il ne peut produire aucune preuve de ce qu’il avance. Il a construit une vérité sur la base de ses haines marocaines recuites. Il pensait que ça allait suffire. Mais non, ça n’a pas suffi. Quand, face à une réalité complexe, les faits ont commencé à ne pas donner raison au Monde, des fissures ont commencé à voir le jour à l’intérieur de la rédaction elle-même de ce journal. Les journalistes ne comprenaient plus cet acharnement avec des dizaines d’articles larmoyants, approximatifs, signés par des demi-sel et parsemés de citations de fins connaisseurs du Maroc, les supplétifs habituels du journal. Ce n’était plus Le Monde, c’était «Je suis partout».
Les fins limiers du Monde auraient pu quand même s’ils étaient honnêtes se poser quelques questions simples. Comment solutionner les innombrables contradictions et invraisemblances dans les listes de numéros de téléphone? Pourquoi le Maroc ciblerait-il des personnes sans intérêts stratégiques pour lui? Quel est le budget de NSO pour monitorer 10 000 numéros de téléphone? Le Maroc en a-t-il les moyens? Le Maroc a-t-il été utilisé finalement dans cette affaire comme un proxy par un service rival? Un coup monté en quelque sorte! A quelle fin? Qui sont les partenaires historiques de NSO dans la région? La France écoute qui? Avec quelle technologie? Et les Allemands? Et les espagnols? Etc. Etc. Etc. Il y a des dizaines de questions que les journalistes émérites du Monde ont fui courageusement aveuglés qu’ils sont par leur hystérie anti-marocaine.
La déchéance du Monde sera actée définitivement par cette affaire Pegasus. On saura, quand viendra le temps des démissions, que ce journal s’est mis au service d’une cause injuste pour assouvir sa haine du régime marocain. Mieux, il s’est mis en ordre de bataille, l’heure étant grave, en mode service commandé. Jamais la proximité de ce journal avec le Quai d’Orsay, ou même l’Elysée, n’a été aussi remarquable. Il fait le job sans états d’âme, mais ce n’est pas sûr que tout le monde suive.