Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Abdelaziz ne donnent (presque) plus aucun signe de vie. Le premier est paralysé par un fâcheux accident vasculaire cérébral (AVC), diagnostiqué en 2011 à l’hôpital Val-de-Grâce, à Paris. Le second, lui, est atteint d’un cancer du poumon dont il essaie bon an mal an de se soigner. Ni l’un ni l’autre n’est en mesure de se manifester, à plus forte raison «gouverner». Pendant ce temps, à Alger comme à Tindouf, aucun maître à bord. Un silence d’enterrement que vient pourtant trahir, à intervalles inégaux, le bruit de coups en dessous de la ceinture, à la faveur d’une guerre qui ne dit pas encore son nom. Une guerre secrète sans merci que se livrent les prétendants à la succession d’Abdelaziz Bouteflika et de Mohamed Abdelaziz.
Alger: y a-t-il un maître à bord ?
Rappelez-vous : à l’été 2015, un groupe de 19 personnalités algériennes, dont la SG du Parti travailliste, Louisa Hanoune, avait demandé à rencontrer le président Bouteflika pour s’assurer s’il gouvernait réellement lui-même, ou si d’autres, -ses proches collaborateurs s’entend-, décidaient à sa place pour l’Algérie. Cette demande, baptisée alors «Initiative G+19», est jusqu’ici restée lettre morte, aucune suite n’ayant été donnée à la demande d’audience. Cela n’enlève rien à son bien-fondé, puisque, un an plus tard, notamment après le célèbre tweet de Manuel Valls montrant un Bouteflika complètement diminué par la maladie, la guerre de succession repart de plus belle. Et contre toute attente, la partie ne se joue pas qu’au sein du clan Bouteflika. Alors qu’il était question, jusque-là, d’une compétition bipartite entre deux proches collaborateurs du «président-fantôme», en l’occurrence Abdelmalek Sellal (actuel premier ministre) et le chef du cabinet de la présidence algérienne Ahmed Ouyahya, de nouveaux prétendants viennent changer la donne.
Passons sur l’ancien patron de la Sonatrach, ministre de l’Energie et des mines (1999 à 2010), retourné en mars dernier des Etats-Unis où il s’était retranché pour se soustraire à une action en justice pour corruption. Le retour de Chakib Khelil, faut-il le préciser, ne doit rien au hasard. Pas plus d’ailleurs que ses pérégrinations dans les zaouias algériennes où il ne recherche pas que de la spiritualité. Chakib Khalil, ami d’enfance de Bouteflika à Oujda, lorgne bel et bien le palais El Mouradia. C'est un sérieux candidat à la succession de Bouteflika qui agit comme s'il était en campagne présidentielle, tout en se défendant de briguer une résidence au palais d'El Mouradia (siège de la présidence algérienne). Les adversaires de Chakib Khelil (dont les relais de la DRS et de l'homme d'affaires Issab Rebrab) appellent le noyau dur autour de Bouteflika: "le clan d'Oujda".
Mais la surprise vient hors du cercle proche du président, puisque c’est un outsider qui vient de claironner haut et fort ses ambitions présidentielles. Issab Rebrab, homme d’affaires algérien, s’attaque de façon frontale à ce qu’il qualifie de «clan régionaliste au pouvoir». Ce richissime homme d’affaires, d’origine berbère, fait cette sortie alors qu’il se voit empêché de racheter le quotidien algérien «Al Khabar» par le clan Bouteflika, qui veut garder la mainmise sur les médias et du coup s’assurer une longévité à la tête du pouvoir.
Tindouf: un bateau sans gouvernail !Ironie du sort, un autre Abdelaziz, en l’occurrence le chef du Polisario, disparaît complètement des écrans radar. Atteint d’un cancer du poumon, dont il a essayé de se faire soigner aussi bien à Cuba qu’en Italie, il ne participe plus à aucune activité officielle. Son absence lors de la dernière réunion du secrétariat national du Polisario nourrit les inquiétudes à Tindouf mais attise les convoitises des prétendants à sa succession à la tête d’un front qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Parmi ces prétendants, figure l’ancien «ministre de la défense» Mohamed Lamine Bouhali, incarnation de l’aile dure du Polisario.
Bouhali, qui a été pointé en 2012 pour sa compromission avec les trafiquants de drogue essaimant la région sahélo-saharienne, sans oublier son rôle dans la rapt de trois humanitaires européens dans le camp de Rabouni, est connu pour être «l’homme d’Alger» par excellence. Seulement voilà, son passé sanguinaire risque de compromettre ses chances de succéder à Mohamed Abdelaziz à la faveur d’autres postulants comme l’actuel «premier ministre» Abdelkader Taleb Omar. En attendant, la crainte continue de grandir à la faveur du «grand saut vers l’inconnu».
La stabilité régionale en dangerFace à la vacance du pouvoir à Alger, comme à Tindouf, surgit cette question inquiétante : ce vide ne risque-t-il pas de plonger la région, au-delà de l’Algérie et des camps de Lahmada, dans le chaos total ? Une sinistre expectative que vient aiguillonner le spectre de la faillite annoncée de l’économie algérienne, en raison de la chute continue des cours de pétrole. Aux dernières nouvelles, l’on apprend que le Fonds algérien de régulations des recettes (FRR) suffit à peine à couvrir les dépenses de l’Algérie jusqu’en 2017 ! Une sombre perspective d’autant plus que le voisin de l’est, dont les hydrocarbures constituent 98% des exportations et 60% des recettes de l’Etat, a pris l’habitude (suicidaire) d’acheter la paix sociale. D’où la crainte d’une explosion sociale d’ici à 2017, avec ce que cela comporterait comme répercussions désastreuses pour la sécurité et la stabilité de toute la région sahélo-saharienne.
Il n'y a pas pire scénario pour le royaume que d'avoir un Etat algérien avec un pilote absent et plusieurs prétendants qui se livrent à une guerre intestine sans merci. Si l'on ajoute à cela que le protégé polisarien est également sans chef, l'on se retrouve en face d'un pays sans tête ou à plusieurs têtes, ce qui revient au même. Rien n'est plus dangereux pour le Maroc qu'une Algérie faible et sans chef d'Etat. Comme tout laisse à croire que la situation va empirer dans les mois à venir, le Maroc ferait mieux de se préparer très sérieusement à la menace de l'est.