Salah Abdeslam, ce personnage énigmatique, accusé d’avoir été la cheville ouvrière et d'avoir assuré toute la logistique des attentats du 13 novembre, qui ont fait 130 morts et 400 blessés, est loin d'avoir livré tous les secrets de sa vie de terroriste. Selon le quotidien Akhbar Al Yaoum, dans son édition du week-end des 29 et 30 octobre, l’implication de Salah Abdeslam dans un projet terroriste remonte à la première moitié du mois de janvier 2015. Il venait de contacter, une nouvelle fois, par téléphone Abdelhamid Abaoud qui se trouvait alors en Grèce d'où il téléguidait une cellule terroriste planquée à Verviers, dans l'est de la Belgique. Le fait que les autorités aient démantelé cette cellule n’avait en rien entamé les projets d’Abaoud qui avait d'autres idées en tête. Et Salah Abdeslam allait devenir le meilleur de ses projets. Le 30 juillet 2015, la phase opérationnelle de ces projets allait démarrer.
Salah a donc quitté Bruxelles au volant d'une Renault Megane de location, en direction du sud de l'Italie. En route, il a été contrôlé par les douaniers français qui l'ont trouvé en possession un gramme de cannabis. N’étant pas considéré en infraction vis-à-vis de la loi, il a pu poursuivre sa route vers Bari où il est arrivé le lendemain. De là, il a embarqué sur un ferry en direction de Patras (Grèce) où il a retrouvé un ami de Molenbeek, Ahmed Dahmani. Les deux hommes ont été contrôlés quatre jours plus tard.
Le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris, Dahmani s’est enfui, par avion, vers Antalya en Turquie, mais il a fini par être arrêté. Cependant, il n’a été entendu qu’en mai dernier. Cet homme est fortement suspecté d'avoir servi de passeur aux jihadistes envoyés par Daech en France.
Après son retour à Bruxelles, Salah Abdeslam a retiré 2.500 euros en liquide entre le 7 et le 8 août. Il changeait fréquemment son numéro de téléphone. Il en avait un nouveau chaque semaine. Le 8 septembre, il a pris la route pour Budapest en Hongrie où il a récupéré, à la gare, deux hommes qui venaient d’arriver de Syrie et étaient munis de fausses pièces d’identité. Il s’agit de Mohamed Belkaid, un Algérien de 35 ans, qui est un jihadiste chevronné, blessé au combat en Syrie et qui sera abattu le 15 mars par la police belge. Et de Najim Laachraoui, originaire de Molenbeek qu'on soupçonne d'être l'artificier des attaques de Paris, et qui s'est fait exploser, le 22 mars 2016, lors de l’attentat de l’aéroport de Bruxelles.
«Il se baladait librement avec une perruque…»
Salah Abdeslam est retourné à la gare de Budapest, le 14 septembre 2015. Il devait conduire les deux faux migrants syriens jusqu'à Charleroi en Belgique. Les deux hommes sont logés dans un appartement réservé à cet effet par la cellule terroriste. Ces deux hommes sont, en fait, deux des trois futurs kamikazes du Stade de France. Le 2 octobre, Abdeslam quitte Bruxelles vers Ulm en Allemagne. Une fois là-bas, il a récupéré, dans un hôtel Ibis, Sofiane Ayari, djihadiste tunisien également porteur d'un passeport syrien falsifié. Ayari et Abdeslam seront arrêtés ensemble, en mars 2016.
Durant cette période, Salah Abdeslam a pris la peine de diversifier et d'espacer ses missions logistiques pour ne pas attirer l’attention. Le 4 septembre, il a acheté une télécommande et douze boîtiers récepteurs dans un magasin à Saint-Ouen-l'Aumône dans le Val d'Oise pour un montant de 390 euros qu’il a réglé en espèces. Le 8 octobre, Salah, l'homme à tout faire, a débarqué dans un magasin spécialisé dans l'entretien des piscines et le matériel d'arrosage, dans la région de la Somme. Là, il a acheté 5 kilos d'hypochlorite de sodium, un désinfectant voisin de l'eau de Javel. Et 45 minutes plus tard, il était dans un autre magasin dans la région de Beauvais. Il y a acheté 15 litres d'eau traitée pour 70 euros. En mélangeant ces deux produits, il est possible de fabriquer 10 kilos de TATP. Cette quantité correspond à ce que contenaient les huit ceintures explosives destinées aux attentats.
Pendant ses «pauses», Salah Abdeslam passait beaucoup de temps dans le bar tenu par son frère Brahim à Molenbeek. Il s’y adonnait souvent au jeu et il lui arrivait d’appeler certains de ses amis à l'y rejoindre, tel Ali O. qui venait souvent jouer avec lui. Interrogé par les policiers, le 14 décembre 2015, Ali évoque le comportement de Salah durant les mois précédents. Il a remarqué, affirme-t-il dans le PV de la police, un changement chez lui. Il était devenu plus radical dans ses propos et son frère Brahim se disputait avec lui parce qu'ils n'étaient pas sur la même longueur d'onde.
Mais, en apparence, il semblait que rien n’avait changé chez lui. Il allait souvent danser le week-ends au Sphinx et au Planet. Il a même été repéré près de 170 fois dans des petits casinos, tentant sa chance au poker et aux machines à sous, entre janvier 2012 et le 8 novembre 2015. Mais il y a plus incroyable encore: L'Express a révélé que la présence de Salah Abdeslam a été repérée à huit reprises dans des salles de jeux, à Bruxelles, entre les16 et 22 novembre 2015.
Le comble c’est que durant cette période, le jihadiste était recherché par toutes les polices d’Europe. Il se baladait librement avec une perruque et de grosses lunettes de vue, comme sur sa fausse carte d'identité belge, dont les policiers ont retrouvé la trace le mois précédent. La question qui en intrigue plus d’un, c’est comment Salah Abdeslam a pu utiliser cette carte sans avoir été inquiété.