Le spécialiste de l’histoire africaine s’est, notamment, attardé sur la situation sécuritaire au Mali, marquée par la poussée du djihadisme dans le Nord, fief des Touaregs. «Le Mali est pour moi l’archétype de la catastrophe de l’imposition d’une idéologie occidentale sur un corps social totalement différent», a indiqué le chercheur.
Pour Bernard Lugan, la situation sécuritaire actuelle du Mali puise sa source dans les années des indépendances. Et d’expliquer qu’à cette époque, il y avait deux écoles chez les futurs chefs d’Etat africains. La première, menée par Sékou Touré, futur président du Mali, et Léopold Sédar Senghor, futur président du Sénégal, était pour une indépendance basée sur des ensembles démographiques, tandis que la seconde, qu’il a appelée «l’école Houphouët-Boigny», était pour une indépendance des territoires hérités de la colonisation.
Et c’est cette dernière qui l’a emporté pour la raison suivante: «Houphouët était ministre français à l’époque. Il était lié à tout le personnel de la 3e République et de la 4e République ainsi que tous ces problèmes d’apparatchiks qui peuvent exister dans ces cabinets ministériels. Il avait une puissance considérable et c’est lui qui a imposé cela.»
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Mais dans le cas du Mali, l’indépendance est «une catastrophe», a indiqué l'africaniste, «parce que les trois quarts du pays – le Nord – sont peuplés par 2% des populations (les Touaregs) et le reste est peuplé par les populations du Sud (…) qui avaient vécu pendant des siècles sous la terreur des raids menés par les Touaregs». Celles-ci ont été en quelque sorte «libérées» par la colonisation, a soutenu l’historien, tandis que ceux qui étaient les «anciens dominants» se sont retrouvés «excessivement affaiblis» et «ont perdu leur statut».
L’indépendance a donc donné naissance à un Etat où vivent «des populations qui sont antagonistes et qui sont surtout très différentes au niveau démographique».
Après l’indépendance, les Touaregs sont largement en infériorité par rapport aux autres populations du Mali, lesquelles ont donc été longtemps sous leur domination. Ils décident donc de ne pas adhérer à l’Etat, mais plutôt à l’ethnie. C’est ainsi que l’on assiste aux cinq guerres touaregs, dont la dernière a créé «les actuels mouvements sur lesquels vont se greffer les djihadistes, qui ne sont que la surinfection d’une plaie ethnique», a poursuivi Bernard Lugan.
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Pour l’historien, «le problème (sécuritaire au Mali, Ndlr) n’est pas d’ordre religieux. Sauf dans quelques poches bien particulières avec l’Etat islamique. Le reste, c’est l’infection de plaies ethniques qui sont millénaires», a résumé l’africaniste.
Pour corroborer ses dires, Le Grand Témoin du jour a rappelé une conviction qu’il a souvent partagée avec ses stagiaires à l’Ecole de guerre: «Messieurs, vous allez partir faire la guerre au Sahel. Imaginons que par un coup de baguette magique, vous réussissiez à détruire (…) les Katiba jihadistes, eh bien, le problème des Bambaras et des Touaregs sera toujours le même, parce qu’il existe depuis 2.000 ans et il existera après.»
Pour le cas du Niger, qui a plus ou moins trouvé une «réponse» à la question touareg en ayant des responsables gouvernementaux issus de ce groupe, l’universitaire s’est voulu prudent: «C’est très fragile. (…) Là également, nous sommes sur de la lave en fusion.»