France-Maroc. La crise, otage d’un pouvoir «charlismatique»

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Après avoir pleuré ses 17 morts, la France politique se dispute la récupération des dividendes post-attentats. Le Maroc se retrouve malgré lui mêlé aux manœuvres politiciennes d’une gauche cherchant à se dépêtrer de ses propres erreurs, en mouillant dans une énième tentative le Maroc. Analyse.

Le 27/01/2015 à 20h11

La France a été regrettablement meurtrie dans sa chair par les attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et Vincennes. Mais il n’est pas éhonté de dire que cette tragédie a quand même « profité » à quelques heureux au sein de l’Elysée, où l’on se réjouit de la fulgurante progression dans les sondages de François Hollande. Il est vrai qu’en passant de 19 à 40% de personnes satisfaites, Hollande apparaît comme le président des extrêmes: aucun de ses prédécesseurs n’a connu au cours de son mandat une pareille descente aux enfers, ni une subite remontée de son crédit.

Il n’empêche que l’Elysée et le Quai d’Orsay ont été pris de court par le déchaînement des critiques de la droite. Dans une allusion claire aux incidences négatives de la crise franco-marocaine sur la coopération sécuritaire, les responsables de l’UMP déplorent un fait grave: «il y avait sûrement des renseignements disponibles quelque part sur la préparation des attentats de Paris, qui n’ont pas été exploités, car ils n’ont peut-être même pas été communiqués», comme de coutume par des services étrangers alliés.

Une accusation implicite, qui en s’amplifiant risque de mettre sur la sellette la responsabilité politique du gouvernement socialiste dans la dégradation de la coopération sécuritaire avec ses alliés stratégiques. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs rappelé qu’«en matière de terrorisme, une affaire sur deux étudiée l’est à partir d’un renseignement venant d’un service étranger». Dans le même sillage, Charles Pasqua n’a pas manqué de qualifier le royaume chérifien comme étant «la principale source internationale de renseignement». La presse française a d’ailleurs révélé qu’Amedy Coulibaly a effectué plusieurs séjours au Maroc, justement le pays avec lequel la coopération sécuritaire est bloquée depuis près d’un an. La cause: un cumul de maladresses qui ont fortement déplu à Rabat, dont l'incident de Neuilly, l’indélicate fouille au corps du ministre des Affaires étrangères marocain par des policiers de l’aéroport de Roissy, l’injustifiable intrusion au Val de Grâce d’un individu venu insulter sur son lit d’hôpital un haut gradé de l’armée marocaine, sans parler de la drôle d’appétence des médias français pour Zakaria Moumni et son compère Mustapha Adib.

Paris semble en avoir pris conscience. Même Laurent Fabius qui après avoir poussé l’outrecuidance jusqu’à snober ses homologues marocains lors de rencontres internationales a annoncé le 15 janvier devant l’assistance bien choisie de la majorité de droite au Sénat «la nécessité absolue de rétablir la coopération sécuritaire avec le Maroc qui a toujours été l’ami de la France, particulièrement dans le contexte particulier de la menace terroriste qui pèse sur l’Hexagone». Une déclaration en apparence conciliante, mais en réalité machiavélique. Elle vise à la fois à étouffer dans l’œuf la polémique naissante au sein de l’opposition française concernant la suspension de la coopération avec le Maroc, tout en acculant les hauts responsables sécuritaires marocains à satisfaire les besoins en information du renseignement français, quand bien même ces dirigeants d’institutions souveraines soient « intuitu personae » sous le coup de poursuites judiciaires en France.

Pour ne pas insulter l’avenir, le Maroc a préféré discrètement décliner ce marché de dupes. Mais, c’était sans compter sur les «stratèges» prosaïques du « Cabinet Noir » de Hollande, qui ont choisi de distiller l’information farfelue selon laquelle «Rabat conditionne la reprise de sa coopération sécuritaire avec Paris, par la garantie de l’immunité diplomatique pour les officiels marocains ». En clair, ces « stratèges » de la politicaillerie souhaitent enraciner dans l’esprit des Français le message subliminal, selon lequel les dignitaires marocains sont bel et bien coupables dans le cadre des plaintes déposées contre eux par un ramassis de voyous binationaux. Mais c’est surtout une entourloupe franco-française, par laquelle la gauche au pouvoir cherche à désamorcer la bombe à retardement incarnée par les griefs de l’opposition sur le gel de la coopération sécuritaire avec le Maroc, en accusant les responsables de ce pays de vouloir surenchérir sur la sacro-sainte indépendance de la justice française, dont on se plait à rappeler que le président en est constitutionnellement le garant.

Désormais, les critiques sur « les mesures nécessaires à l’amélioration de la sécurité des Français» sont remplacées par le martèlement de « l’inaliénable indépendance de la justice française». Et ce n’est pas surprenant à cet égard, si les medias publics et «indépendants» de l’Hexagone mettent le paquet depuis quelques jours, pour ancrer en bonne place ce nouveau débat en recourant à des pieds noirs «algérophiles» comme Georges Morin. Ce dernier a claironné sur la chaîne « France 24 » qu’il est « impensable d’imaginer que le Maroc puisse donner des ordres à la justice française, indépendante », non sans que ladite chaîne prenne la peine de clarifier dans une note de la rédaction, à ceux qui n’auraient pas bien compris ce message, que « la justice française est soumise à des impératifs constitutionnels, l’exhortant à poursuivre des tortionnaires présumés quelle que soit leur nationalité s’ils sont sur le sol français ». Ce n’est pas aussi étonnant que la très «indépendante Afp » se fende d’une dépêche dans laquelle elle souligne que « 57% des français estiment que Nicolas Sarkozy a eu tort de critiquer le gouvernement sur les mesures de sécurité et que ces propos cassent l’unité politique nationale », ne manquant pas de souligner « qu’un quart des sympathisants de droite désapprouvent l’attitude du président de l’UMP ».

C’est cynique, mais il est notoire que les guerres et les drames apportent de l’oxygène politique principalement au locataire de l’Elysée. L’on se rappelle encore des 19 points providentiels ayant boosté la cote de popularité de l’ancien président Mitterrand, au lendemain du déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991 et qui, par la suite, ne lui ont pas été d’un grand secours, ni en mars 1993, lorsque la gauche a connu la plus grande déroute électorale de son histoire, qui avait tragiquement plongé l’ex-premier ministre Bérégovoy dans un état dépressif avant son suicide, ni en mai 1995 lorsque la magistrature suprême du pays est passée pendant 17 ans à droite, une durée péniblement longue en politique.

Les cabinards de l’ombre savent tout cela et pourtant ils s’efforcent de surfer le plus longtemps possible sur la vague « Charlie Hebdo » dans le but de mettre hors de course Sarkozy d’ici à 2017. Ils oublient sans doute que le Maroc n’acceptera jamais de faire de concessions sur le respect de sa souveraineté, qu’il place bien au dessus des contingences de l’alternance républicaine, des résultats volatiles des instituts de sondage et des manœuvres politiciennes de basse facture orchestrées par un nid de barbouzes nichés au cœur d’un pouvoir «charlismatique».

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 27/01/2015 à 20h11