Comment évaluez-vous l’évolution récente des relations entre le Maroc et la France?Malheureusement, il y a un certain nombre d’incompréhensions qui ne concernent pas simplement le Maroc, mais l’ensemble des pays africains. J’ai personnellement réagi très vivement, dans une communauté d’esprit avec beaucoup de personnes en Afrique du Nord, sur les déclarations du ministre de l’Intérieur sur les visas, l’année dernière. Les laissez-passer consulaires sont un sujet, mais il faut créer des mobilités légales et respecter le droit européen lorsqu’on délivre des visas.
La manière dont les choses se sont passées l’année dernière n’était pas normale et c’est assez révélateur de l’incompréhension qu’ont un certain nombre de responsables politiques des besoins, des attentes et de la manière avec laquelle on nous regarde au sud de la Méditerranée, et c’est profondément dommage.
Nous avons besoin de retrouver des relations de confiance qui nous permettent de nous comprendre, et pour cela, nous avons besoin d’avoir des interlocuteurs et des pays où l’Etat fonctionne. C’est pourquoi au Maroc, on doit pouvoir faire des choses, parce qu’on se comprend, c’est rationnel, c’est stable, on peut donc construire des politiques de long terme plutôt que de jouer l’opinion publique, comme l’ont fait un certain nombre de gouvernements sur les questions migratoires en cassant tout le reste de la relation, ce qui est profondément dommageable.
Nous avons vécu une crise majeure, il y a quelques années, avec le Maroc que nous avons dû surmonter parce que la coopération sécuritaire entre nos deux pays est indispensable, il va falloir continuer. Si on n’y arrive pas avec le Maroc, avec qui va-t-on pouvoir le faire en Afrique?
Qu’en est-il du partenariat économique? Nous sommes lancés, en Europe, dans un grand plan ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais ce plan-là n’a aucun sens s'il ne s’accompagne pas d’une politique complètement en adéquation avec ces orientations pour l’ensemble de nos voisins, que ce soit en matière d’échanges économiques ou en termes de coopération dans le domaine des énergies renouvelables.
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Instaurer une taxe à la frontière de l’Europe n’a pas pour but de taxer les industries qui tournent de l’autre côté de nos frontières, il faut aussi pouvoir accompagner l’évolution de ces industries dans une démarche plus écologique, et cela demande une bonne coopération entre l’Union européenne et le Maroc en particulier, parce qu’on peut vraiment construire de belles choses ici et dans toute l’Afrique.
Quel rôle pour le Maroc dans le redéploiement de la France en Afrique?En matière de coopération économique, le Maroc est un partenaire majeur, un partenaire qui se développe, un partenaire stable avec lequel les entreprises peuvent travailler, mais aussi un partenaire ouvert, ce qui n’est pas nécessairement le cas des voisins. Le réseau bancaire est important et diffuse dans tous les pays africains.
Lorsqu’on sait travailler au Maroc, on est capable de travailler dans d’autres pays. Aujourd’hui les banques marocaines sont celles avec lesquelles il est le plus facile de travailler sur l’ensemble du continent, alors qu’il y a de moins en moins de présence de banques françaises et européennes en Afrique. Je crois que les entreprises, qui sont souvent plus vives que les Etats à se rendre compte des évolutions, ont bien compris ce rôle que joue le Maroc en Afrique.
Quelle serait donc, selon vous, la voie pour un meilleur développement des relations entre les deux pays?Sur la question des visas, de la mobilité et de la migration, nous avons besoin de dépasser les expressions un peu populistes de certains responsables politiques en Europe. Il faut vraiment arriver à construire une relation à long terme. On ne peut pas simplement s’appuyer sur la relation historique; cette dernière dure le temps des générations. Et on voit bien, en particulier en Afrique, que les générations ont changé, la moyenne d’âge d’un certain nombre de pays africains est assez basse par rapport à la moyenne d’âge en Europe. Ce n’est pas parce qu'il y a cinquante ans, des choses se faisaient, qu’on peut continuer à les faire.
Il faut arriver à développer de nouveaux partenariats, dans une confiance qui ne s’appuiera pas nécessairement sur les acquis. C’est pour cela que la question de la mobilité est importante, vous ne pouvez pas comprendre quelqu’un si vous ne venez pas chez lui, s’il ne peut plus y avoir ces échanges et ces visites entre l’Afrique et l’Europe, alors que les deux continents ont vocation à travailler ensemble.