Le docu de France3, diffusé jeudi dernier, a tout au moins le mérite d’attirer notre attention sur les contradictions et l’extrême légèreté des “spécialistes“ de la critique du régime. Karim Tazi s’est forgé la réputation d’un homme d’affaires qui ne mâche pas ses mots, «l’homme d’affaires courageux» comme aime à l’appeler les sites qu’il arrose de ses bienfaits. Un industriel nourri des valeurs de la gauche, voire de l’extrême gauche. Un patron proche de ses ouvriers et qui mène un combat contre vents et marées pour les droits des salariés. En somme, le parfait entrepreneur de gauche. Cette image de patron de gauche, Karim Tazi la cultive au Maroc. Mais il en est bien autrement ailleurs.
A gauche au Maroc, à droite toute en France!Rappelez-vous! Pas plus tard que le 22 mai dernier, au Sofitel de Casablanca, Alain Juppé s’adressait aux expatriés français qui vivent au Maroc, dans le cadre de la campagne des primaires du parti Les Républicains. Dans la salle où s’exprime Juppé, on a reconnu beaucoup de Marocains. Que faisaient-ils dans une salle où un sérieux candidat à la présidentielle française de 2017 faisait campagne pour recueillir des voix? Ils y étaient parce qu’ils sont binationaux et qu’ils ont franchi le seuil de la porte du Sofitel avec leur casquette de citoyens français, responsables et empressés de faire leur devoir en choisissant consciencieusement le candidat auquel ils allaient donner leur vote.
Parmi les personnes qui ont écouté attentivement Alain Juppé, Karim Tazi. Oui, celui-là même qui se réclame des valeurs de la gauche au Maroc, semblait n’avoir aucune gêne à changer son fusil d’épaule en marquant son adhésion au parti des Républicains quand il s’agit de voter en France.
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Alain Juppé au Sofitel de Casablanca
Dans quelles circonstances le citoyen Karim Tazi a-t-il obtenu la nationalité française? Mystère. Car l’intéressé n’est pas né en France, n’y a pas fait ses études, n’y a pas résidé et n’est pas le conjoint d’une Française. Il fallait vraiment que le cœur de Tazi balance résolument vers la droite française pour qu’il obtienne son décret officiel de naturalisation, signé en décembre 2010 par François Fillon, alors Premier ministre de Nicolas Sarkozy. D’ailleurs, Tazi ne fait aucun mystère sur ses intentions de vote. Sa préférence va à Juppé et comme deuxième choix à Fillon, l’ordonnateur de sa naturalisation.
Passeport rouge...Reconnaissance du ventre ou bien appartenance politique à géographies variables? Quoi qu’il en soit, le Français Karim Tazi n’a pas oublié le geste de la droite française en sa faveur. Mais problème: il n’est pas aussi reconnaissant quand il s’agit du pays qui l'a vu naître, un pays où il a grandi et surtout fait grandir ses affaires sous le règne de Mohammed VI. La projection de puissance du royaume en Afrique lui a servi de tremplin dont il n’aurait jamais rêvé pour élargir son business de patron de Richbond, entre autres, et évidemment gonfler son portefeuille. En Afrique de l’Ouest, Karim Tazi est plus royaliste que le roi. Dans le privé, avec ses interlocuteurs africains, il loue la vision africaine du souverain.
Aucune reconnaissance publique, cela étant! L’homme veut bien tirer profit de l’ouverture de son pays sur le continent, mais n’en rate pas une pour tirer dessus, un coup en première ligne avec les sittinneurs «20 fébréristes», un coup aux côtés des nihilistes d’extrême gauche et de quelques officines droits-de- l’hommiste promptes à baver sur leur pays dans des rapports bidouillés en collusion avec des parties extérieures, résolument hostiles au Maroc.
De droite en France, d’extrême gauche au Maroc, royaliste par intérêt en Afrique, Karim Tazi aime aussi s’afficher avec le mouvement du 20 février et même le sponsoriser. Batteur de pavé fébrériste le jour, il devient un salonard cossu la nuit qui amuse la galerie en tenant des discours interminables (il adore s’écouter parler) sur les moments exaltants, voire historiques, qu’il a vécus avec la poignée de manifestants du 20 février.
Dans les salons casablancais que fréquente l’intéressé, de nombreuses personnes sont des binationaux. Elles appartiennent à ce qu’il faut bien appeler «hizb franssa» (le parti de la France) : un pied ici, comme des investisseurs étrangers au Maroc, et l’autre à l’Hexagone. Le plan de repli vers la vraie mère-patrie est toujours activé dans le cas où la vache à traire marocaine venait à tarir. Dans le docu de France 3, il serait édifiant de compter le nombre d’interviewés, supposés parler de l’intérieur du Maroc, alors qu’ils sont porteurs de la nationalité française.
Charité bien ordonnée commence par soi-même!Quant au chevalier preux du patronat, cet industriel humaniste avec ses centaines d’ouvriers, il suffit de se rappeler le triste souvenir de l’an passé pour que les masques tombent. Pas plus tard que Ramadan dernier, précisément le 7 juillet 2015, un employé de la SMEC, société appartenant au groupe Tazi, est décédé dans des circonstances dignes de “Germinal“ d’Emile Zola.
Alors que le muezzin se préparait à appeler à la prière du «Moghreb», qui marque la rupture du jeûne, le pauvre employé qui était encore bloqué à l’usine voulait prendre une douche. Il ne savait pas qu’il allait mourir asphyxié par du gaz butane d’un chauffe-eau bon marché. Les images qui nous sont parvenues du bloc «sanitaire» de cette fabrique d’articles en matières plastiques rappellent cruellement celles des orphelinats roumains de la tristement célèbre époque de Ceausescu. Voilà qui devrait nous édifier sur le respect des Droits de l’Homme, ceux-là mêmes dont se gargarise monsieur Tazi qui se présente comme «le plus citoyen des entrepreneurs».
Il peut toujours continuer à parler... Et, surtout, à s’écouter. Personne n’est dupe!