C’est sans doute à cause de son âge avancé et sa santé chancelante que le syndicaliste s’est muré dans un mutisme, pendant plusieurs années. Noubir Amaoui, qui vient de rendre l’âme à l’âge de 86 ans, avait aussi, sans doute, beaucoup souffert de sa rupture avec l’USFP et de la perte d’une forte casquette politique. Ainsi, Amaoui, qui galvanisait, il y a quelques années, les foules avec ses discours enflammés, ne parlait que très peu ces dernières années, écrit le quotidien Al Massae dans un portrait posthume consacré au défunt dirigeant de la CDT et publié dans son numéro du jeudi 9 septembre.
Peu de gens le savaient, avant que ce slogan n'ait dernièrement été galvaudé par certaines tendances d’extrême gauche: Noubir Amaoui est le premier à avoir parlé d’un «Roi qui règne, mais ne gouverne pas». C’était au début des années 90. Noubir Amaoui, souligne le quotidien, a ensuite été emprisonné, mais pour un tout autre motif. Les deux ans de prison qu’il a purgés à la même époque étaient, en réalité, dus à ses déclarations contre les membres du gouvernement, dans le cadre d’un entretien accordé au quotidien espagnol El Pais.
Cela ne lui a manifestement pas servi de leçon puisque, bien plus tard, il a récidivé en traitant le gouvernement de Benkirane de «gouvernement d’enfants» qu’il a invités, par la même occasion, à «aller jouer ailleurs». Pour ceux qui ne l’ont pas vraiment connu, poursuit le quotidien, Noubir Amaoui était aussi ce «âroubi» (blédard) qui a fait capoter le projet d’Alternance de 1996. Tout avait été convenu, avec l’accord enthousiaste du numéro de l’USFP d’alors, Mohamed Elyazghi, pour que le gouvernement d’Alternance, formé par les partis de la koutla, soit présidé par l’Istiqlal. Amaoui, qui n’était pas du tout d’accord, a alors soudainement débarqué au siège de k'Istiqlal, dans le bureau de feu M’hammed Boucetta dont il a rageusement renversé la table. Pour lui, il n’était pas question d’un tel gouvernement en l'absence de Abderrahmane Youssoufi, alors en froid avec l’USFP.
Plus tard, le cabinet royal annoncera que le projet de l’Alternance avait été reporté pour plus tard. On a avancé, comme cause, la réticence de certains partis d’y voir siéger l’ancien puissant ministre de l’Intérieur, Driss Basri. Bref, cela ne voulait pas dire que Noubir Amaoui était d’accord sur toute la ligne avec celui qui allait diriger effectivement l’Alternance, deux années après. Il a même fini par claquer la porte du parti, en pleins travaux du 6e congrès, en 2001, amputant ainsi l’USFP de son bras syndical et privant la CDT d’un appui politique. Il n’a d’ailleurs pas tardé à fonder un nouveau parti, le CNI, actuellement membre de la FGD.
Après une trêve, lors du mandat de Driss Jettou, le dirigeant syndical s’est montré particulièrement critique envers le gouvernement d’Abbas El Fassi. Il est même allé jusqu’à demander aux parlementaires de la CDT de se retirer de la deuxième Chambre. Ses critiques ont gagné en virulence avec le gouvernement dirigé par le PJD. Pourtant, celui qui a dirigé la CDT depuis sa création, à l’occasion d’une scission de l’UMT, ne faisait même pas partie des favoris pour le poste de secrétaire général de la future centrale syndicale. Cela ne l’a pas empêché de devenir, au fil des années, un dirigeant hors du commun.
Né dans un douar des environs de Ben Ahmed, dans la Chaouia, il a d’abord fréquenté le m’sid, où il a appris le Coran, puis l’école du Quartier Industrielle fondée par Abderrahmane Youssoufi, alors membre de l’Istiqlal, et enfin l’Institut Ibn Youssef à Marrakech, pour ensuite parfaire ses études à El Qaraouiyine. En 1956, il devient instituteur. Amaoui a rejoint l’Istiqlal en 1952, dix ans plus tard, en 1963. Mehdi Ben Barka l’a désigné chef de la Commission ouvrière, lançant ainsi sa longue carrière syndicale.