Le 15 novembre dernier, le PLF 2020 atterrissait à la Chambre des conseillers après avoir passé le cap de celle des représentants. Tous les ministres du gouvernement ont été tenus de se rendre auprès des sénateurs pour défendre leur budget respectif et les convaincre par des arguments identiques à ceux déjà fournis aux députés. Plus de 20 jours plus tard, soit le 6 décembre, les conseillers de la seconde chambre ont enfin dit "oui" au PLF 2020, avec 37 voix pour et 24 contre. La moitié d'entre eux (ils sont 120 au total) manquaient à l’appel, mais c’est là une autre histoire.
Le gouvernement, à l’issue de ce marathon, a accepté une quarantaine d’amendements, mais tout le paquet doit revenir à la Chambre des représentants, pour une adoption définitive, puisque c’est cette même chambre qui a le dernier mot en ce qui concerne l'adoption des textes législatifs.
Dans le jargon des spécialistes, cette "navette" entre les deux chambres constitue un gaspillage de ce qu’on appelle le temps législatif. Car il y a un double emploi pour, finalement, le même résultat. "Les projets de loi sont déposés en priorité sur le bureau de la Chambre des Représentants. Toutefois, les projets de loi relatifs particulièrement aux Collectivités territoriales, au développement régional et aux affaires sociales sont déposés en priorité sur le bureau de la Chambre des Conseillers", stipule l’article 78 de la Constitution. Soit, donc, puisque par cet article, la chambre haute est dotée d’un rôle bien défini.
«La Chambre des Représentants adopte en dernier ressort le texte examiné. Le vote ne peut avoir lieu qu'à la majorité absolue des membres présents, lorsqu'il s'agit d'un texte concernant les collectivités territoriales et les domaines afférents au développement régional et aux affaires sociales», rectifie l’article 84 de la loi suprême.
Et si on faisait comme le Sénégal et la Mauritanie?Le Maroc a expérimenté le bicaméralisme avec son premier Parlement, mais l’a laissé de côté avec la Constitution promulguée en 1970. Il a été réhabilité par la révision constitutionnelle de 1996, avec une chambre composée de 270 membres, ramenés à 120 lors de la révision de 2011.
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Pour le principe, l’objectif est de permettre à d’autres sensibilités (le patronat et les syndicats, entre autres) et certaines institutions (collectivités locales) d’avoir leur mot à dire: légiférer, contrôler l’action du gouvernement… Sauf qu'une fois encore, le dernier mot revient à la Chambre des représentants.
D’autres pays de la région ont abandonné le bicaméralisme, en «dégommant» purement et simplement la chambre haute de leur parlement: le Sénégal en 2012, puis la Mauritanie en 2017.
Pourquoi le Maroc ne ferait-il pas de même? "C’est un débat qui ne date pas d’aujourd’hui, mais il mérite d’être ouvert à nouveau", répond ce fin connaisseur de la chose parlementaire. Quant aux premiers concernés, ils expliquent, non sans gêne, que cette chambre a un rôle à jouer, surtout que le Maroc est en train d’instaurer sa régionalisation avancée.
"Cela relève pratiquement du domaine du tabou. Cette chambre est une sorte de cadeau à toutes ses composantes. C’est de la rente pure et dure", commente une source parlementaire. En clair, comme les partis politiques et les syndicats n’aiment pas trop voir la Cour des comptes fourrer son nez dans leurs finances, ils n’aimeraient pas être privés de cette manne supplémentaire, même si celle-ci l'est aux dépens des deniers publics.
Une chambre onéreuseEn plus d’être de trop, la Chambre des conseillers pèse sur le budget de l’Etat. En 2020, son fonctionnement coûtera 300 millions de dirhams et 20 postes budgétaires qui viendront grossir son armée de fonctionnaires et de chargés de mission.
Et ce n’est là que la partie visible de l’iceberg, car ce budget n’inclut pas les indemnités et avantages octroyés aux 120 parlementaires. Chacun d’entre eux perçoit, au bas mot, 32.000 dirhams nets par mois. Multipliez donc par 120 et vous aurez une idée de ce que cette chambre coûte. Sans parler des indemnités supplémentaires versées à ceux qui assument des responsabilités: membres du bureau, chefs de groupes, présidents de commissions…
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Avoir un pied dans la Chambre des conseillers, et c’est là un autre tabou, signifie avoir la possibilité d'octroyer des largesses pour ses proches. D’ailleurs, depuis plusieurs années, cette chambre n’arrive pas à faire entendre raison à une petite armée de fonctionnaires «fantômes» qui y mettent rarement les pieds. Et avec tout cela, la gourmandise des sénateurs n’a pas de limites: ils bénéficient de plusieurs facilitations qui leur sont octroyées pour leurs frais de transport (en train et en avion), leurs hébergements et leurs frais de restauration. Ce n'est pas tout, ils tiennent, en plus, absolument à arracher un "droit" à la gratuité de leurs trajets à bord du flambant neuf Al Boraq…