L'état-major de l'Armée nationale populaire algérienne insiste, dans le nouveau numéro de sa revue mensuelle "El Djeïch", sur sa neutralité à l'égard de la vie politique de son pays. Il faut noter que ce n'est pas la première fois que l'ANP, dont le chef d'état-major est le général de corps d'armée Gaïd Salah, également vice-ministre de la Défense, souligne sa volonté de ne pas se mêler de la vie politique de son pays. Pourquoi se sent-elle à chaque fois dans le besoin de marteler sa neutralité, vraie ou supposée, à l'égard de la chose politique, dès lors que c'est une évidence? S'il va de soi que le propre de toute grande muette est de rester muette, pourquoi celle de l'Algérie déroge-t-elle à cette règle et insiste-t-elle sur cette prise de distances somme toute évidente par rapport à la vie politique? Ce cas d'espèce est unique au monde et conduit à s'interroger sur les raisons de cette insistance.
Un indice sur l'incurie de l'Etat algérienDepuis la reconduction en 2014 d'Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat en tant que président, malgré un fâcheux accident vasculaire cérébral diagnostiqué en 2013 à l'hôpital militaire parisien Val-de-Grâce-, l'Etat algérien est pratiquement sans maître à bord. L'AVC a fait perdre au "président" toute aptitude physique et intellectuelle, générant un vide institutionnel préoccupant. Un vide qui a remis inévitablement sur le tapis la question de la succession du "président-grabataire", mettant aux prises deux clans farouchement opposés, celui du frère, Saïd Bouteflika, véritable manipulateur des leviers de pouvoir depuis 2013, et celui de l'ancien tout-puissant patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, renseignement algérien), le général major Mohamed Lamine Mediene, alias "Tewfik", désormais déchu.
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Rappelons que cette guerre intraclanique a coûté son poste à celui que les Algériens surnommaient "Rab Dzaïr", le général Mediene, fin 2015, ainsi qu'à un nombre non négligeable de ses proches collaborateurs. Une purge a en effet visé le DRS, dont le démantèlement a accentué le vide institutionnel au point que les Algériens ne savent plus qui dirige leur pays. Le cafouillage qui a marqué le premier "Forum africain d'investissements" organisé début décembre à Alger est en effet le résultat de cette guerre ouverte entre le premier ministre Abdelmalek Sellal et le chef de cabinet de la présidence algérienne Ahmed Ouyahya. Ce n'est qu'une manifestation de cette incurie qui règne au sommet de l'Etat, déjà confronté à la pire crise financière de son histoire en raison de la chute des cours des hydrocarbures.
L'armée reste-t-elle "l'ultime recours" face à cette incurie?Les sorties répétitives de l'institution militaire algérienne pour affirmer sa neutralité ne sont pas le "fruit" du hasard. Elles confirment le sérieux de ceux qui appellent l'armée à mettre un terme à la vacance institutionnelle. Une vacance institutionnelle déjà épinglée dans le célèbre "Appel des 19", -appelation donnée à la mémorable lettre adressée par dix-neuf personnalités algériennes, à leur tête la SG du Parti des travaillistes, Louisa Hanoune, pour solliciter, à la veille de la commémoration du déclenchement de la guerre de libération nationale algérienne, le 5 novembre 2015, une audience au chef de l'Etat algérien, au sujet de "la dégradation du climat général de notre pays". Les signataires ont expliqué que cette dégradation se caractérisait par des faits. Ils ont cité «le renoncement à la souveraineté nationale (…) par notamment l’abandon du droit de préemption de l’État (…), la déliquescence des institutions de l’État, la grave dégradation de la situation économique et sociale, l’abandon des cadres algériens livrés à l’arbitraire, aux sanctions partiales (…)».
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Et ce n'est pas tout! Dans cette lettre, restée lettre morte, les signataires ont exprimé aussi leur inquiétude quant à la capacité du président Bouteflika à gouverner le pays. «Le président reçoit bien les délégations étrangères, alors il n’y a aucune raison de refuser de nous recevoir. Nous voulons vérifier s’il est réellement en état de diriger le pays», se sont-ils inquiétés.
Une inquiétude manifestée, dans une précédente lettre signée et diffusée cette fois par des personnalités universitaires algériennes le 27 février 2015, sous ce titre révélateur: "les appels à l'armée et la transition démocratique".
Des appels par rapport auxquels l'institution militaire algérienne semble vouloir se démarquer, d'autant plus que les services internationaux ne font plus aucun mystère de leur inquiétude que la situation en Algérie ne dérape, à la faveur d'un coup militaire qui remettrait le voisin de l'est à la case de départ. Celle de la tristement célèbre époque du colonel Houari Boumediene, de son vrai nom Mohamed Boukharrouba, quand il a renversé le président Ahmed Ben Bella le 19 juin 1965.
Les généraux algériens ont toujours dirigé le voisin de l'est. Un éditorial du célèbre journal américain The New York soulignait justement que "l'Algérie est toujours dirigée par "un petit cercle de généraux et d’officiers du renseignement". "Ce petit cercle de généraux a non seulement échoué à apporter une solution aux problèmes chroniques de l’Algérie, mais continue de renforcer sa poigne autour d'un peuple interdit de manifester, de prendre la parole et de s'exprimer", a asséné le grand journal américain, dans un éditorial à charge publié dans son édition du vendredi 16 décembre 2016.
On savait que les généraux faisaient la pluie et le beau temps en Algérie. Mais ils partageaient jusque-là le pouvoir avec le chef de l'Etat. Aujourd'hui, c'est à une prise du pouvoir au grand jour que l'armée algérienne est appelée. Un putsh, en somme. Ce qui explique les manifestations à répétition de la volonté de l'armée algérienne à ne pas se mêler de la chose politique. Par son aspect inhabituel, cette insistance de l'armée algérienne a davantage de quoi inquiéter que de rassurer.