Le chef d’état-major de l’ANP, Gaïd Saleh, essuie des tirs de barrage depuis le «message de soutien» qu’il a adressé à Amar Saâdani, chef du Front de libération nationale (FLN) et homme lige du président Abdelaziz Bouteflika, à l’occasion du 10ème congrès de ce parti unique et «inique». Dans ce message, révélé par “Le Soir d’Algérie” dans son édition d’hier, le vice-ministre de la Défense assure qu’«il n'est nul besoin de prouver que le parti du Front de libération nationale demeure, au regard du capital révolutionnaire et historique, ainsi que sa large base populaire qui brasse toutes les couches de la société et toutes les catégories d’âge, la première force politique du pays. Et c’est incontestable».
La sacro-sainte «neutralité» de l’armée à l’égard de la politique, celle-là même dont se gargarisait le général-major Gaïd Saleh, prend un nouveau coup dur, autant que cet ultime espoir de démocratie auquel continue de se suspendre une classe politique qui ne sait plus à quel saint se vouer. «La classe politique nationale est unanime à y voir, au-delà du lourd discrédit que l’initiative porte à l’armée, une dérive porteuse de grands périls pour la Nation au moment où doit s’amorcer le débat sur l’avenir politique immédiat du pays», dégaine cet éditorialiste du quotidien à grand tirage, “El Watan”.
Du côté du gotha politique, la première réaction a été celle de l’ex-challenger de Abdelaziz Bouteflika lors de la présidentielle d’avril 2014, Ali Benflis. «Ce qu’il y a d’exceptionnellement grave dans cette lettre est qu’elle est de nature à perturber tant la cohésion de nos forces armées que celle de la Nation elle-même», écrit-il dans un communiqué au sujet de cette lettre impliquant l’ANP dans le soutien à un responsable de parti politique, Amar Saâdani en l’occurrence. «Nous voyons tous que cette lettre s’insère dans le contexte général de la vacance du pouvoir et de la déshérence des institutions et qu’elle s’inscrit clairement dans une stratégie qui se met en place et par laquelle le régime politique tente d’en sortir en se reproduisant ou en se clonant», relève encore Ali Benflis.
«Stratégie», le mot est lâché. La sortie du vice-ministre de la Défense ne doit donc rien au hasard, comme l’explique Ali Benflis et, à travers lui, tout le microcosme politique algérien. La ficelle est grosse pour passer inaperçue.
Après-Bouteflika, le clan au pouvoir abat ses cartes
La sortie du général-major Gaïd Saleh intervient alors que le clan présidentiel, dont il fait d’ailleurs partie, se démène pour désigner, parmi ses membres, un successeur à Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci sera soit le frère cadet du président, Saïd Bouteflika, soit l'un des membres du clan, qui pourrait être l’actuel Premier ministre, Abdelmalek Sellal, ou le chef du FLN, Amar Saâdani. Reste que les chances du frangin de Bouteflika, Saïd, restent minces, autant que celles de l’actuel Premier ministre Abdelmalek Sella, face au patron du FLN, Amar Saâdani, encore que ce dernier soit contesté pour des affaires de corruption.
La lettre de «soutien» adressée au «frère» Saâdani par le général-major Gaïd Saleh, loin d’être une initiative individuelle, peut être considérée comme une accréditation prématurée pour que le «frère» Saâdani prenne les commandes de l’Algérie en remplacement de Abdelaziz Bouteflika, malade et incapable de suivre les événements. Mais là encore, la pilule «Amar Saâdani» risque fort bien de ne pas passer. Dans une lettre ouverte à Gaïd Saleh, le chroniqueur Majid Makedhi a dévoilé les «lourds soupçons de corruption et de transferts illicites de devises» qui pèseraient sur l’actuel patron du FLN. «Trouvez-vous légitime qu’il possède une résidence en France, sans qu’il se sente tenu de s’expliquer sur les origines des fonds ayant permis cette acquisition? Votre engagement pour la défense de votre pays vous permet-il d’encenser un secrétaire général qui est détenteur d’une carte de résidence en France?», s’interroge Majid Makedhi, dans sa lettre à Gaïd Saleh, qui n’a pas échappé non plus à cette véritable volée de bois vert. «Je ne m’adresse pas à vous pour vous présenter des vœux de santé et de prospérité pour la simple raison que ceci ne vous manque pas. Prospère, vous l’êtes sûrement, avec un budget de plus de treize milliards de dollars. En bonne santé, vous l’êtes aussi, avec tout le confort dont vous jouissez. Vous n’êtes donc pas à plaindre par rapport à nos milliers de jeunes soldats qui écument, dans des conditions souvent précaires, les fiefs terroristes dans les maquis et nos frontières incertaines». Tout aussi «incertaines» que l’avenir d’une Algérie livrée, si l’on ose écrire, à un «viol collectif» de la part d’une classe dirigeante peu scrupuleuse.