«Du pain bénit pour le Palais royal». Dès la première phrase, l’article signé par Charlotte Bozonnet et paru dans le quotidien français Le Monde, donne le ton. Intitulé «Journalistes soupçonnés de chantage : une aubaine pour le régime», cet article tend à rendre périphérique, voire accessoire, le chantage du tandem Laurent/Graciet et à créer un nouveau centre à cette affaire : le Palais royal se servirait de cette actualité pour discréditer les critiques venues de l’étranger. Charlotte Bozonnet réduit le fond du dossier à un statut secondaire. La tentative de deux journalistes qui ont voulu extorquer au souverain la somme de 2 millions d’euros n’est rien comparativement au supposé bénéfice que le royaume va récolter grâce à cette affaire.
Pour Mme Bozonnet, l’essentiel de ce dossier réside ailleurs. Car il touche à d’autres «nerfs sensibles» du pouvoir marocain. Lesquels ? La prétendue désillusion qui a succédé à l’espoir né de l’avènement du roi Mohammed VI et la supposée répression des voix libres du royaume. A ce sujet, Mme Bozonnet nous apprend qu’après des «débuts encourageants, le pouvoir renâcle à s’ouvrir». Pourquoi ? Comment ? Mme Bozonnet se garde bien de nous le dire. En revanche, elle va nous expliquer que toutes les réformes entreprises par le souverain ne sont qu’une poudre jetée aux yeux des ignorants qui se laissent berner par l’image d’un pays stable et émergent.
Corporatisme aveuglePour apporter de l’eau à son moulin, Charlotte Bozonnet commence par accabler le royaume parce que le Journal hebdomadaire «réputé pour son indépendance» a mis la clef sous le paillasson. Quel curieux hasard que Mme Bozonnet cite un journal où Catherine Graciet avait été justement une collaboratrice payée au black! Ce que ne sait pas ou feint de ne pas savoir Mme Bozonnet, c’est que cet hebdomadaire n’a pas cessé ses activités en raison de la répression de la liberté d’expression ou du harcèlement de ses journalistes par les autorités. Cette publication a cessé de paraître parce qu’elle ne payait ni les impôts, ni les cotisations à la CNSS. Si un journal venait à disparaître en France en raison d’une mauvaise gestion, Mme Bozonnet n’y aurait rien trouvé à redire.
En raison de leur appartenance au même corps de métier, Mme Bozonnet chercherait peut-être des circonstances atténuantes au chantage du duo Laurent/ Graciet. On peut d’autant plus le comprendre que Catherine Graciet passe pour une bonne source aux yeux de ceux qui aiment parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure au Maroc. D’ailleurs, pour tenter d’illustrer les restrictions à la liberté d’expression, Mme Bozonnet rappelle l’expulsion du Maroc de deux journalistes français, l’hiver dernier. Et là encore, comme par hasard, Catherine Graciet n’est pas très loin, car c’est elle qui servait à distance de «stringer» à Jean-Louis Perez et Pierre Chautard, les deux journalistes venus tourner clandestinement sur le sol marocain dans un total mépris des lois du royaume. Il faut admettre que Graciet ne ratait pas une occasion pour polluer l’atmosphère entre le Maroc et la France avant que sa vocation d’experte ès chantage ne soit dévoilée au grand jour.
Tout ne serait qu’une question d’imageCharlotte Bozonnet nous apprend que «la critique venue de l’étranger : c’est la bête noire du système marocain». Et d’ajouter à l’adresse de ceux qui auront mal compris : «Le pouvoir met en avant l’image d’un pays stable, sûr et ouvert, doté d’une économie émergente, un pays en transition vers la démocratie, à rebours d’une région en plein chaos.»
Selon Mme Bozonnet, les réformes démocratiques, sociales, économiques ou sécuritaires engagées par le royaume ciblent davantage les étrangers que les Marocains. Ces réformes ne serviraient qu’à lustrer l’image du royaume à l’international. Si le Maroc a initié une indemnisation rare et louable des anciens détenus des années de plomb, c’est pour l’image. Si Mohammed VI a mis en place l’un des programmes les plus ambitieux en matière de lutte contre la pauvreté et la précarité (l’INDH), c’est pour l’image. Quand ce programme profite à des centaines de milliers de villageois privés de routes et d’électricité, c’est encore pour donner une bonne image du pays. Quand la Banque mondiale salue cette Initiative nationale du développement humain comme l’un des meilleurs programmes d’action d’intérêt général dans le monde, évidemment c’est le couronnement de l’image. Quand nos services de sécurité démantèlent des cellules terroristes ou partagent des renseignements précieux avec leurs collègues en Europe, c’est encore une question d’image. Quand la réforme de la Moudawana introduit davantage d’égalité entre hommes et femmes, cela contribue à asseoir à l’étranger l’image d’un pays moderne. Quand l’amazigh est reconnu comme langue officielle au Maroc au même titre que l’arabe, ce n’est pas pour rendre justice à plus de 40% de Marocains, mais pour redorer davantage le cadre de l’image…
La journaliste de Le Monde a décidé de jeter un regard suspicieux tout ce que nous construisons dans ce pays. Elle a décrété que toute bonne action est un leurre à seule fin de redorer l’image du pays. Les seuls acteurs qui trouvent grâce à ses yeux, ce sont «ceux qui contribuent à brouiller cette image». Et elle n’en cite que deux : l’AMDH et les activistes du 20 février. Les autres, tous les autres, ce sont des serviteurs, des commis dévoués à soigner l’image.
Et même quand Mme Bozonnet essaie de pointer les supposés dépassements des services sécuritaires marocains, elle oublie de les évaluer à leur juste mesure. Des cas isolés deviennent une preuve irrévocable de la brutalité de toute une profession. Si l’on cherchait par principe de réciprocité à copier la logique de Mme Bozonnet, on trouvera plusieurs exemples dans les faits divers qui font l’actualité en France. Il suffit de citer le viol d’une Canadienne par des policiers à Paris pour affirmer que la police française se compose de psychopathes qui appâtent de jeunes femmes dans le but d’abuser d’elles. Ou encore le vol de 52 kg de cocaïne sous scellés au siège de la police judiciaire pour conclure que les policiers en France ne délestent les dealers de leur drogue que pour mieux la leur revendre. A ce sujet, force est de constater que les raccourcis et les amalgames prospèrent moins au Maroc. Des cas isolés ne sont pas instrumentalisés pour discréditer l’ensemble d’une profession ou, pire, un Etat. Jamais un fait divers ou un cas répréhensible, ayant pour théâtre la France, n’a servi pour pointer un doigt accusateur sur l’ensemble d’un département sécuritaire.
«L’impact dommageable» d’un chantage !Inutile de chercher des arguments dans l’article de Charlotte Bozonnet. Il n’y en a pas! L’article est truffé de jugements à l’emporte-pièce et de raccourcis. Mme Bozonnet semble parler à un public acquis à l’image qu’elle se fait du Maroc. Elle a pour objectif d’inverser les rôles, en transformant la victime en bourreau. Celui qui subit le chantage n’est pas non seulement à plaindre, mais doit être montré du doigt pour «l’impact dommageable» de cette affaire. Oui, vous avez bien lu : «Impact dommageable» ! Cette expression, lâchée par Mme Bozonnet, détermine les vrais ressorts de sa diatribe contre le Maroc. Elle appréhende que les futurs auteurs de livres à charge contre le royaume n’aient à pâtir du chantage du tandem Laurent/Graciet. Elle craint aussi que la suspicion d’une transaction ratée ne pèse sur les livres antérieurs. Que l'on comprenne un peu mieux les visées de Charlotte Bozonnet : cette journaliste déplore que l’affaire du chantage soit rendue publique parce qu’elle va desservir ceux qui font du dénigrement du Maroc et de ses institutions leur fond de commerce.
Est-ce ainsi que l’on pratique aujourd’hui le journalisme dans Le Monde ? Mme Bozonnet ressemble plus à une militante qu’à une journaliste. Elle estime que le Maroc est en train de savourer sa «revanche après une année de brouille diplomatique avec la France». Quel lien entre le chantage de deux journalistes véreux et les relations entre deux Etats ? Aucun, sinon la preuve que l’article en question n’est pas vraiment destiné à faire la lumière sur une affaire de chantage (qui n’attend qu’à être jugée) mais plutôt à brouiller les relations entre deux pays dont l’alliance a démontré une résistance à toute épreuve. Et ce n’est d’ailleurs pas un simple hasard qu’un tel brûlot soit publié à la veille d’une visite d’Etat de François Hollande au royaume. Avec ce journalisme-là, il ne faut pas s’étonner que le quotidien Le Monde perde chaque semaine davantage de lecteurs.