A la veille des élections de 2002, le Maroc franchissait un nouveau pas dans le processus démocratique, instaurant, pour la première fois, le scrutin de liste à plus fort reste. Le changement a été immédiat. La scène politique, beaucoup moins balkanisée, s'est resserrée au point qu’en 2016, les huit premiers partis ont totalisé plus de 98% des sièges de la première Chambre.
De ce point de vue, c’est une réussite, commente l’hebdomadaire La Vie éco dans son édition du vendredi 5 mars. Cependant, ces dernières années, la même scène politique a connu l’émergence de tendances hégémoniques et d’une volonté manifeste d’exclure l’autre. Il fallait donc réagir pour affiner ce mécanisme.
Et si en 2002, l’initiative venait du gouvernement, cette fois, elle vient des partis politiques. On l’a vu au cours des derniers jours. Les trois formations de l’opposition, l’Istiqlal, le PAM et le PPS, ont présenté un amendement portant sur le calcul du quotient électoral non plus sur la base des voix valides mais sur celle du nombre d’inscrits sur les listes électorales, explique l’hebdomadaire.
L’amendement a été refusé par le ministère de l’Intérieur, mais il a été soutenu par d’autres formations de la majorité. On a dû recourir au vote pour trancher. Sept partis ont voté pour. Seul le PJD s’est prononcé contre. Il a même mené une campagne de pression, utilisant tous les moyens dont il dispose pour que cet amendement ne passe pas. En vain, puisque l’amendement a été adopté en commission, et le sera fort probablement en séance plénière.
Pourquoi cet amendement voulu par la majorité des partis politiques constitue-t-il un changement majeur dans le processus électoral et démocratique? D'abord, explique La Vie éco, parce qu’il permettra à un plus grand nombre de partis d’accéder au Parlement. Le pluralisme politique sera ainsi matérialisé dans les débats et l’action au sein du Parlement. Les partis, quel que soit leur poids politique, auront plus de chance de faire élire leurs candidats, ce qui est une opportunité pour les jeunes et les cadres d’accéder à l’institution législative en grand nombre.
Dans une circonscription locale, il sera, en effet, techniquement quasi-impossible pour un seul parti d’obtenir deux sièges. Ce mécanisme étant de loin plus équitable, les formations politiques auront, au final, un statut qui correspond plus à leur véritable poids électoral. Les tendances hégémoniques de certains partis qui se prétendent investis de la légitimité populaire seront bridées.
D’après l’hebdomadaire, si, pour la plupart des partis qui l’ont voté, cet amendement est bénéfique pour le processus électoral et le fonctionnement des institutions qui en découleront, pour le PJD, ce n’est pas le cas. Ses militants le confirment, en prenant comme référence ses prouesses électorales de 2016, ce changement se traduit par une perte sèche d’au moins de 40 sièges, dont 25, voire plus, sur les circonscriptions locales. Ce qui, précisons-le, représente une perte pour sa trésorerie de plus de 3,5 millions de dirhams de cotisations obligatoires des parlementaires en plus, bien sûr, des subventions de l’Etat accordées en fonction du nombre de sièges reportés.
Sur le plan de la promotion interne, ce changement risque d’aggraver la crise du parti. Dans la mesure où il est pratiquement impossible de gagner deux sièges dans une même circonscription et que l’octroi des accréditions est basé sur un système complexe de cooptation dans ce parti, les cadres de deuxième et troisième génération ne pourront jamais accéder au Parlement. Les élus vont rempiler de nouveau, ce qui représentera un problème de renouvellement des élites et davantage de tensions internes.
Pour le pays et sa démocratie, ce changement aura pour effet une plus grande participation électorale car les partis seront obligés, pour se distinguer, d’aller chercher de nouveaux électeurs dans la masse des abstentionnistes. Plus encore, souligne la Vie éco, d’aucuns parlent déjà de la perspective d’un «Parlement national» dans lequel seront représentées toutes les sensibilités politiques, légalement reconnues bien sûr.
Il en découlera, de même, un «gouvernement national», qui aura la charge d’accompagner les premiers pas du Royaume dans l’ère de l’après-Covid. Ce gouvernement, appuyé par un Parlement réellement représentatif, aura ainsi pour mission de mettre en œuvre les réformes économiques et sociales annoncées ainsi que le nouveau modèle de développement.