Coup de théâtre au Parlement. Au moment où l'examen du projet de loi relatif à l'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) allait bon train et que tout portait à croire que le texte allait être adopté sans encombres, voilà que les débats s'arrêtent net. Les membres de la commission de la législation ont, en effet, décidé de porter le texte devant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire pour avis avant de poursuivre son examen, rapporte le quotidien Al Akhbar dans son édition du lundi 5 octobre.
La décision a été prise sur demande du groupe parlementaire du PAM quelques jours à peine après la présentation en grandes pompes du projet de loi par le ministère de l'Economie et des Finances, Mohamed Benchaâboun. Le texte prévoit, en effet, de nouvelles dispositions confiant à l'Instance des attributions qui relèvent notamment du domaine de la police judiciaire, comme l'a d'ailleurs expliqué longuement l’avocat socialiste Abdelkebir Tabih dans une tribune publiée par le quotidien Assabah dans son édition du même jour. Un empiètement sur le domaine réservé au pouvoir judiciaire que les parlementaires, de l'opposition comme de la majorité, refusent de cautionner.
Ainsi, selon le texte, les membres de l'Instance ou ses commissaires sont autorisés, de par ce projet de loi, à effectuer des investigations, mener des enquêtes et rédiger des PV. Ils sont également investis du pouvoir d'effectuer sans prévenir des visites d'inspection dans les locaux et sièges des personnes publiques et des locaux des organisations professionnelles du droit privé. Et ce sans avoir qualité de police judiciaire, nécessaire dans les deux cas.
Le projet, actuellement entre les mains des députés, permet, en effet, à l'Instance de disposer des mécanismes qui répondent aux attributs des tâches qui lui sont confiées, notamment le statut juridique de ses commissaires et de leurs attributions, leur prestation de serment devant la Cour d'appel de Rabat et leur affectation à des opérations d'investigation et d'enquête par le président de l'Instance et sous son autorité. Ils peuvent également élaborer des procès-verbaux des opérations effectuées par eux, lesquels procès-verbaux ont une valeur juridique et font foi jusqu'à preuve du contraire.
D'après le juriste Abdelkebir Tabih, déjà au moment de présenter ce texte devant le Parlement, le gouvernement a commis un vice de forme. Le texte, observe-t-il, a pour objet de prouver l'existence d'un fait pouvant être qualifié de «crime de corruption», que ce soit d'ordre financier ou administratif. C'est l'un des crimes les plus graves, note-t-il. Or, le gouvernement n'a pourtant pas jugé utile la présence du ministre de la Justice, ni celle du ministre d'Etat chargé des droits de l'Homme, directement concernés, et a préféré confier la présentation du projet de loi au ministre des Finances.
Dans sa tribune publiée par Assabah, l’avocat socialiste insiste sur le fait que bien que les rédacteurs de ce projet de loi aient insisté sur sa conformité à la Constitution, citant notamment les articles 36 et 167, il n’en est rien. L'article 167 précise, en effet, que l'Instance «a pour mission notamment d'initier, de coordonner, de superviser et d'assurer le suivi de la mise en œuvre des politiques de prévention et de lutte contre la corruption, de recueillir et de diffuser les informations dans ce domaine, de contribuer à la moralisation de la vie publique...».
Partant de là, la Constitution, constate-t-il, n'a nullement habilité l'Instance à effectuer des missions relevant des attributions de la police judiciaire ou du Parquet, et encore moins celles relevant du juge d’instruction. Car, souligne-t-il, ce sont les seules institutions à pouvoir légalement, et de manière exclusive, mener des opérations d'investigation et d'enquête sur les crimes de corruption, entre autres crimes et délits, et initier des procès judiciaires en conséquence.