Mardi 4 novembre, vers 8 heures, devant la prison «Dhaibia», à Tindouf. Un soleil rouge s’abat comme une chape de plomb sur ce mouroir digne des goulags de l’époque stalinienne de sinistre mémoire, où s’entassent pêle-mêle des sahraouis souvent emprisonnés pour «délit d’opinion». Aux portes, plusieurs centaines de proches de détenus font le pied de grue. «Pourquoi elle, pourquoi pas les nôtres?», fulminent-ils, avec au fond de la gorge un sentiment profond de «hogra». «Elle», c’est Mahjouba Mohamed Hamdi Eddaf, une jeune sahraouie naturalisée Espagnole. Elle a été relâchée trois mois après sa séquestration par sa famille biologique, à l’issue d’un voyage incertain à Tindouf pour rendre visite à sa grand-mère malade. Panique chez sa famille d’adoption, à Valence, puis mobilisation tous azimuts sur les réseaux sociaux, les journaux et la télévision espagnole pour obtenir le «rapatriement» de Mahjouba. 4000 pétitions recueillies sur le Net, avant d’être remises au ministère espagnol des Affaires étrangères, aux ONG de défense des droits humains dont Human Rights Watch. Devant cette énorme pression, le Polisario, autant que son sponsor officiel, Alger, obtempèrent et promettent de relâcher «au plus vite» la jeune «Malala» de Tindouf. C’est chose faite. Mardi 27 octobre, Mahjouba regagne triomphalement sa terre d’adoption, en se jurant, peut-être, de ne plus remettre les pieds dans ces camps de la honte. L’histoire aurait donc pu se terminer à ce stade. Or, ne voilà-t-il pas que la colère enfle à Tindouf. Le secrétariat général du Polisario est montré du doigt, pour ne pas traiter les séquestrés sur un même pied d’égalité. Au nom de quelle «loi» délivre-t-il Mahjouba, et continue de détenir des milliers d’autres sahraouis pour des motifs souvent extrajudiciaires? C’est la raison pour laquelle près de 400 personnes, en majorité des membres des familles des personnes en détention à la prison «Dhaïbia», ont afflué, à la pointe de ce noir mardi 4 novembre, vers le QG du Polisario à Rabouni, en menaçant d’entamer une marche en direction du secrétariat général du front, en cas de la non libération de leurs proches.
Des manifestants prêts à en découdre…
Il est 10 heures, un détachement de la «6ème région militaire» est dépêché vers le lieu du rassemblement. Tirs de sommation, utilisation de bombes lacrymogènes … rien n’y fait. C’est dire à quel point les manifestants étaient prêts à en découdre avec les nervis de Mohamed Abdelaziz. Première épreuve du feu, un groupe de protestataires, circulant à bord de trois véhicules, réussissent à atteindre le siège du secrétariat général, dont ils forcent la porte principale, à l’aide de l’un de ces véhicules, avant de cibler par des jets de pierres les éléments de la «gendarmerie» du front, qui ripostent par des coups de feu, obligeant ainsi les protestataires à prendre la fuite. Mais voilà, ce n’est que partie remise. Vers 12 heures, près de 200 protestataires, dont des femmes, se rassemblent devant le siège du secrétariat général du front, pour demander la libération de leurs proches arrêtés. Face au risque de débordement, l’ordre a été donné de mettre les coopérants étrangers exerçant aux camps de Tindouf à l’intérieur du siège du «Protocole».
«Printemps sahraoui» : L’effet domino?
Les incidents du 4 novembre font suite à plusieurs autres actions de protestation. Dimanche 2 novembre, une cinquantaine de personnes originaires de la tribu Rguibate Labouihat avait organisé un rassemblement, en fin d’après-midi, devant le siège du secrétariat général du front à Rabouni. Suite à cette action, les éléments de la sécurité militaire du Polisario avaient interpellé pas moins de 48 personnes, qu’ils ont traînés manu militari vers la prison Dhaïbia. La veille, 3 novembre, la sécurité du Polisario avait empêché, dans la matinée, un groupe sahraoui d’accéder au domicile du dénommé Saleh Cheïkh Ali, situé à la «Daïra» de «Hagounia», au camp «Aousserd», où des membres de la tribu Rguibat Labouihat comptaient tenir une rencontre, en procédant à la dispersion d’une quarantaine de protestataires, en majorité des femmes. Le même jour, des jeunes de la même tribu avaient organisé, vers 13 heures, un rassemblement devant le siège de la soi-disant «wilaya» d’Aousserd dénonçant la détention de leurs congénères par la sécurité du Polisario, avant de s’en prendre, à coups de pierres, au secrétaire général de la présumée «Union de la jeunesse de Sakiat El Hamra et Rio de Oro-UJsario», le dénommé Zine Mohamed Sid Ahmed (oncle maternel de Mahjouba Mohamed Hamdi Eddaf), dépêché par le SG du Polisario pour tenter de convaincre les manifestants de quitter les lieux, en l’obligeant à rebrousser chemin. Preuve de la gravité de la situation, le soi-disant «premier ministre» de la chimérique «RASD», Abdelkader Taleb Omar (ex-pseudo-ministre de la Défense), a présidé, dans la nuit du 2 novembre, une réunion de sécurité à Rabouni, en ordonnant l’interdiction de tout attroupement sur la voie publique. Un ordre qui a peu de chances d’être écouté tellement la colère gronde.