Ce qui se disait en coulisses sur l’implication des islamistes dans la grève des étudiants en médecine est devenu une position officielle du gouvernement. Ce dernier accuse directement le mouvement Al Adl Wal Ihsane d’être derrière l’escalade des protestations des étudiants de la faculté de la médecine «dans le but d’exploiter leurs revendications à des fins politiques».
Dans un communiqué lu par le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, le gouvernement indique que «d’autres parties, et particulièrement Al Adl Wal Ihssane, ont exploité cette situation pour inciter les étudiants à mener des actions qui ne servent pas leurs intérêts. Le gouvernement n’hésitera pas à prendre les mesures légales en vigueur contre tous ceux qui essayent d’entraver le déroulement normal de ces examens». Avant de rendre public ce communiqué, le gouvernement avait suspendu trois professeurs de la faculté de médecine affiliés à Al Adl Wal Ihssane, accusés d’avoir manqué à leur engagement professionnel. Le gouvernement n’avait pas révélé leur lien avec ce mouvement mais c’est le conseil de vulgarisation de la Jemaâ qui a indiqué que les professeurs ont été suspendus à cause de leurs «activités syndicales et de leur appartenance politique».
Le quotidien Al Ahdath Al Maghribia rapporte, dans son édition du samedi 15 juin, que les étudiants et les professeurs affiliés à Al Adl Wal Ihsane sont très présents à la faculté de médecine. Depuis le début de la grève, beaucoup d’indices laissaient supposer l’implication du mouvement islamiste en tant que meneur des protestations et instigateurs de l’escalade. D’ailleurs, les ministres de la Santé et de l’Education nationale, respectivement Anas Doukkali et Said Amzazi, avaient déjà pointé du doigt les adeptes de la Jemaâ lors d’une conférence de presse conjointe tenue le 29 mai dernier: «Nous aspirons à ce que les universités demeurent des espaces de savoir, de concurrence scientifique et culturelle. Le temps où la faculté était poussée à s’ingérer dans la politique est révolu. Celui qui a la nostalgie de cette époque pourra adhérer à des organisations politiques où il peut exprimer ses positions politiques loin du campus».
Ce n’est pas la première fois que les autorités accusent Al Adl Wal Ihsane d’attiser les tensions sociales au Maroc en exploitant les mouvements de protestations. Avant la grève des étudiants de médecine, le mouvement a été accusé d’être derrière le durcissement des grèves des enseignants contractuels. Suite aux évènements de Jerada, lors d’un exposé qu’il a présenté le 2 avril 2018 devant la commission de l’Intérieur, le ministre de l’intérieur, Abdelouafi Laftit, a été on ne plus plus direct: «Je vais être direct avec vous. Ce sont Al Adl Wal Ihssane, Annahj Addimocrati et l’Association marocaine des droits humains qui montent les gens contre l’Etat en essayant de provoquer un dérapage sécuritaire et d’attiser la tension sociale. Ces parties ne veulent pas que la situation se calme, bien au contraire, ils aspirent à ce que tout le Maroc soit en feu». Et le ministre de préciser que face à la paralysie interne qui sévit chez ces organisations et face au rétrécissement de l’impact de leur discours politique et idéologique, ils essayent d’attirer les citoyens en se servant de leurs revendications justes et légitimes.
Face aux accusations du gouvernement, Al Adl Wal Ihssane n’a pas tardé à réagir à travers un communiqué dans lequel il dément avoir incité les étudiants de médecine à durcir leur mouvement en les qualifiant de «disque rayé» et de la «position/mascarade». La Jemaâ s’est dite surprise par cette accusation qui constitue un «mépris pour une large élite de la société représentée par des étudiants dans les facultés de médecine et de pharmacie ainsi que de leurs parents et de leurs professeurs. Les propos du gouvernement démontrent aussi ses échecs répétitifs dans la résolution des problèmes accumulés dans tous les secteurs, d’ou un affrontement devenu chronique des autorités politiques et économiques avec tout un peuple».
Mais dans ce même communiqué, le mouvement islamiste va se découvrir en se faisant piéger par ses propres contradictions. D’un côté, la Jemaâ a rejeté toute implication dans la grève des étudiants en médecine et d’un autre, elle affirme que «la suspension des professeurs qui sont affiliés à notre mouvement n’a rien à voir avec un quelconque manquement à leur engagement professionnel. Mais ils ont été sanctionnés à cause de leurs activités syndicales, leur compétence scientifique et leur appartenance politique ». Autant dire qu’Al Adl Wal Ihssane avoue, explicitement, que ses membres adhèrent à travers le portail de leur «appartenance syndicale et de leurs activités politiques» au durcissement du mouvement de protestations dans les facultés de médecine et de pharmacie.