A l’aube du vaste chantier lancé par Sa Majesté d’une généralisation de la protection sociale, la formation de nos médecins est essentielle à notre pays.
Pourtant, une étude réalisée par cinq chercheurs (AK. Sylla, S. El Ouadih, K. Barknan, S. Hassoune, S. Nani) de la Faculté de médecine et de pharmacie relevant de l’Université Hassan II de Casablanca, intitulée «Migration intention of final year medical students», parue dans la revue scientifique «European Journal of Public Health» vient de sonner le tocsin, en réveillant brutalement les tenants d'un domaine dont on parle si peu, depuis tant d’années…
Selon les conclusions de cette étude, en effet, plus des deux tiers (et plus précisément 71,1%) des étudiants en dernière année de médecine dans les facultés au Maroc envisagent de quitter le pays pour l’Allemagne ou la Belgique.
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Une surprise pour certains, mais une réalité profonde pour la majorité des étudiants en médecine: l'amour de leur pays et leur sens du patriotisme n’est évidemment pas à remettre en cause. Ce sont plutôt les maux profonds de la formation médicale et du système national de santé auxquels il faut s’attaquer sans attendre.
Les causes sont en effet nombreuses, avec, d’abord, une formation qui ne correspond pas aux attentes des étudiants, car malgré l’excellence académique des professeurs marocains, subsiste un faible taux d'encadrement pendant les études et notamment dans les stages.
Il y a aussi le niveau des salaires et des conditions financières, très loin des standards européens, mais également des conditions de travail dégradées, des affectations sans garantie de retour...
Autant de raisons qui donnent aux étudiants en médecine cette envie d’ailleurs. Mais il y a aussi et surtout cette réalité: l’architecture de la formation médicale au Maroc, malgré quelques ajustements, a été copiée du système de formation médical français… Et elle date de 1965, bien que quelques modifications lui aient été apportées en 1993.
Aucun autre changement notable n’a été effectué en près de trente ans, à peine quelques pansements ici et là, alors que la réforme doit être profonde, et faite au scalpel.
Il faut donc moderniser sans plus attendre le système de formation médicale, en recourant s’il le faut à une autorité nationale autonome et scientifique. Celle-ci aura la charge d'édicter les normes et items nationaux, introduire les soft skills, l’anglais médical, la recherche et la publication d’article scientifique et le leadership médical dans le cursus.
Cette autorité pourrait aussi favoriser la mobilité des étudiants, à travers des échanges de stages formateurs avec les universités de médecine d’autres pays, de type Erasmus ou ceux de l’IFMSA, élargir massivement l’accès à la simulation, et faire découvrir aux futurs médecins, dès les débuts de leur formation, l’utilisation de la télémédecine, afin de rapprocher les médecins des patients les plus éloignés.
Le troisième cycle donnant accès à la spécialisation n’a, lui, pas été modifié d’un iota. Il n’est pas du tout adapté aux besoins épidémiologiques régionaux, qui diffèrent d’une région à l’autre. Sans parler des enjeux de santé actuels et modernes, comme les maladies chroniques ou le vieillissement de la population…
Il y a, de fait, deux systèmes, qui se superposent, et qui perdurent encore au Maroc, pour accéder à une spécialité médicale ou chirurgicale: le concours d’internat et le concours de résidanat. Une situation qui se prolonge, alors même que tous les pays voisins ont d'ores et déjà modifié en profondeur leur système de spécialisation.
Il faut aussi évoquer l’inspiration originelle de cette formation, celle du système français, qui, lui, a été radicalement réformé en 1982. En France, désormais, un concours unique pour l’accès au troisième cycle spécialisé a été instauré depuis près de quarante ans.
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Au Maroc, il faut en revanche absolument une formation par l'internat pour tous, en supprimant cet anachronique concours d’internat, qui date des concours de l’internat de Paris de 1802, voire de 1788… Un concours qui est aujourd’hui maintenu dans sa forme identique au Maroc, sans qu’aucun changement ou qu’une quelconque modification ne lui ait été apportée! Et, de plus, le programme des concours n’est pas uniformisé sur le plan national.
Cette situation a créé une dichotomie entre étudiants en médecine dans leur formation et leurs conditions matérielles et de vie: l’interne, après avoir réussi son concours, dispose d’un foyer et d’un salaire, d’une meilleure formation hospitalière et même d’une priorité pour sa spécialisation. En échange, celui-ci assure les soins d’urgence dans les CHU, une curieuse tradition qui permet à des étudiants en médecine à peine sortis de la 5e année de leurs études d’assurer un rôle d’urgentistes, afin de pallier les insuffisances de postes budgétaires de l’Etat.
Or, le simple bon sens voudrait que des urgentistes soient formés et spécialisés, en «séniorisant» les étudiants en médecine encore en formation.
Les étudiants en médecine n’ayant pas réussi ou voulu passer ce concours au milieu de leur cursus -il s’agit là de l’écrasante majorité des étudiants-, n’auront pas une formation équivalente et devront attendre de passer un concours de résidanat après avoir soutenu leur thèse, ce qui leur donnera un choix moindre de postes pour certaines spécialités.
Il faut donc absolument supprimer ce système de formation à deux vitesses et instaurer un concours national d’accès aux différentes spécialités médicales, ce qui permettra une meilleure prise en considération de l’égalité des chances. Ce concours devrait être basé en partie sur le raisonnement clinique, la simulation, la motivation et le système ECOS.
Il faut également rehausser et valoriser la médecine de famille (qui équivaut au rôle de l’ancien médecin généraliste), qui doit être la nouvelle priorité des politiques publiques de santé.
En effet, le nouveau parcours de soin devra comporter un passage obligatoire par le généraliste -soit le médecin de famille. Une condition nécessaire pour réussir le chantier de la généralisation de la protection sociale.
Mais tout cela, c’est aussi sans compter la durée d’études, sept ans, estimée par tous comme trop longue, six ans étant la durée idoine.
Une bonne nouvelle est à cet égard à saluer. Elle était attendue depuis longtemps: dans une note adressée aux présidents des universités publiques, le 17 février dernier, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, a annoncé la volonté du gouvernement de réduire d’un an la durée de la formation en médecine, «à partir de la rentrée prochaine». Devenir médecin demandera donc désormais six années d’études, au lieu de sept.
Cette réforme devrait certainement permettre d’augmenter le nombre de médecins formés chaque année, dont nous avons besoin, bien que sa mise en œuvre n’est pas encore précisée dans tous ses détails.
Au-delà de la révision de l’architecture globale de la formation en médecine, qui devrait donner une large place à une co-construction ouverte aux étudiants, il faut également penser à leurs conditions matérielles. Il faut augmenter le parterre des stages, afin d’éviter le surpeuplement dans les services médicaux, néfaste à une formation de qualité, en donnant la possibilité aux enseignants installés dans le privé ou les cabinets de médecins généralistes de former de nouveaux praticiens.
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Il s’agit là d’une pratique d’une réelle efficacité en Belgique, qui permet d’augmenter la capacité de formation hospitalière, en octroyant aux étudiants en médecine un «Maître de Stage». In fine, la pratique permet aussi d’améliorer les conditions de travail et les conditions financières des étudiants en médecine. Ce sont là les seuls moyens à même de juguler l’émigration des médecins marocains à l’étranger.
Les chiffres sont en effet alarmants, alors même que dans notre pays, une stratégie de généralisation de la couverture sociale universelle est actuellement en cours d’instauration: il y a, au Maroc, un déficit en personnel de santé estimé à un peu plus de 32.000 médecins et 65.000 infirmiers, et alors que la moyenne mondiale est de 13 médecins pour 10.000 habitants, il n’y en a que 7 pour 10.000 habitants dans notre pays.
Cette réforme de la formation médicale au Maroc est donc une réelle urgence. Elle permettra de mieux former nos médecins aux enjeux de l’époque, et d’en augmenter suffisamment les effectifs, afin de soigner les citoyens marocains et d’être à même de faire face, Dieu nous en préserve, à toute éventuelle nouvelle crise sanitaire.
*Ali Taleb Farhat est étudiant en médecine, acteur actif de la société civile. Co-fondateur du think tank «Aji Souwet», il est aussi membre de la commission mixte de réforme de la formation médicale, ayant rendu son rapport au chef du gouvernement, le 25 juillet 2021.