On le qualifie souvent de «grande gueule», et tantôt de démagogue ou de syndicaliste fougueux, voire irrespectueux. Peut-être qu’il a des défauts, comme beaucoup de ses pairs d’ailleurs. Comme tout le monde par ailleurs. Mais il a au moins ce mérite: un jour du mois de juillet 2016, il a "largué" une bombe dont les dégâts continent à secouer des coupables et, aussi, «à faire des… victimes».
On doit au président du groupe parlementaire de l’Istiqlal à la Chambre des conseillers, Abdeslam Lebbar, le courage d’avoir dévoilé une grosse affaire de détournement, d’un montant tournant autour de 192 millions de dirhams, dans les caisses des académies de l’enseignement.
A l’époque, le conseiller a surpris plus d’un lors d’une séance plénière du Parlement, y compris l’ex-chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, et aussi et surtout l’ex-ministre de l’Enseignement, Rachid Belmokhtar. Si Benkirane s’est empressé de recevoir le document que lui a fourni Lebbar, le chef du département incriminé s’est fendu d’un communiqué laconique: «Le ministère ne cèdera à aucun chantage ou pression de n’importe quelle partie… suite aux graves accusations qui visent des responsables de notre département…» Et pourtant, il y a eu du rififi dans la gestion de la somme colossale de 43 milliards de dirhams allouée au Plan d’urgence de la réforme de l’enseignement étalé sur la période 2009-2012.
Cinq mois plus tard, la Cour des comptes confirme les accusations d’Abdeslam Lebbar dans un rapport accablant qui révèle une multitude de graves dysfonctionnements. Il faut le lire pour le croire car la gestion des académies prête à suspicion, comme le martèle le conseiller Lebbar depuis l’éclatement de cette affaire.
C’est une gestion digne de l’épicier du coin avec en plus des malversations financières, détournement de fonds, falsification de documents, non tenue des livres comptables, ni d’inventaire. La totale. Mais dans l’acquisition du matériel didactique et chimique pour les laboratoires, le vol est flagrant. Petite liste d’une centaine de malversations: acquisition de matériel défectueux, dépassé et non exploitable. Attestation de réception d’un matériel qui n’a jamais été livré, 90% de celui acquis est non conforme et n’est pas prévu dans le programme de l’enseignement, marchés accordés aux mêmes sociétés… La liste n’est pas exhaustive.
Mais on ne vous privera pas des meilleures perles de l’escroquerie comme le fait d’affecter du matériel à une école qui ne peut pas l’utiliser parce qu’elle n’est pas raccordée au réseau de l’électricité. Plus encore, dans le cahier des prescriptions spéciales, l’Académie s’engage à contrôler le matériel en cours de construction. Petit problème, ce matériel est importé. Grand problème pointé par la cour des comptes: les catalogues sont écrits en chinois alors qu’ils devaient être en arabe ou en français. Au fait, combien d’enseignants de la langue chinoise on a au Maroc?
Normal que la cour des comptes transmette ce dossier au parquet pour compléter les enquêtes. Depuis, on parle de 61 décisions de poursuites judiciaires qui impliquent près d’une centaine de personnes. L’acte d’accusation est terrible: corruption, clientélisme, marchés publics truqués, matériel répertorié et non livré, etc.
Plusieurs responsables ont été entendus par la justice mais il faut avouer que face à des faits aussi flagrants, beaucoup de cadres du ministère et des académies devraient être déjà en prison. A moins, comme le dit le président du groupe parlementaire istiqlalien, Abdeslam Lebbar: «Jusqu’ici, ce sont les petits fonctionnaires qui ont fait les frais de cette escroquerie à grande échelle".
Malheureusement, les gros poissons courent toujours et certains d’entre eux travaillent encore au ministère. Dommage que l’excellent travail de la Cour des comptes ne va pas jusqu’au bout de la procédure judiciaire, surtout dans un scandale aussi grave et flagrant qui touche un secteur aussi stratégique que celui de l’enseignement.