Dans une déclaration filmée qui est parvenue à Le360, le secrétaire général du ministère d’Etat chargé des Droits de l’Homme, Abdelkrim Boujradi, revient en détail sur le fameux rapport dans lequel Amnesty International (AI) accuse, sans preuves, le Maroc d’espionnage téléphonique.
Devant une commission présidée par Mustapha Ramid, Abdelkrim Boujradi a relaté le récit de la rencontre avec les deux représentants d’AI au Maroc, ainsi que la façon dont cette ONG a essayé d’entrer en contact avec le Royaume.
Abelkrim Boujradi débute ainsi son intervention: «J’ai contacté le directeur exécutif d’Amnesty International, le 25 juin, pour lui demander si nous pouvions tenir une réunion».
Une date de réunion est proposée le 26 juin et «il a accepté» poursuit-il, insistant sur le fait qu’il s’agissait non pas d’une convocation, mais d’une demande de rencontre qui a été acceptée par l’intéressé.
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Les récits d’une rencontre surprenante
Abelkrim Boujradi rapporte les propos échangés lors de cette rencontre du 26 juin avec le directeur exécutif d’AI. «Nous lui avons exprimé notre étonnement quant au fait qu’AI affirme que les autorités marocaines ont reçu le rapport».
«Puis nous l’avons questionné sur le destinataire (de ce rapport)», poursuit M. Boujradi. «Le chef du gouvernement», a répondu Mohamed Sektaoui, précisant ensuite que le rapport avait été envoyé par fax, au chef du gouvernement, après «vérification du numéro du fax».
S’est-il ensuite assuré de la bonne arrivée de ce fax en obtenant un accusé de réception? «Nous n’avons pas vérifié cela»,a répondu le représentant de AI au Maroc.
Mais l’échange ne s’arrête pas à ces simples modalités d’envoi. En toute logique, le ministère d’Etat aurait dû être mis dans la boucle des destinataires de ce rapport, alors «pourquoi le ministère d’Etat chargé des Droits de l’Homme n’a-t-il pas été contacté?»
«Ce n’est pas le directeur exécutif d’Amnesty qui a répondu, mais l’un de ses collaborateurs qui était avec lui et qui a fait savoir qu’AI ne dispose ni des adresses électroniques des responsables du ministère en charge des Droits de l’Homme, ni de leurs numéros de téléphone», poursuit M. Boujradi.
A ce stade précis, Abelkrim Boujradi nous apprend qu’à aucun moment lors de leur échange, Mohamed Sektaoui n’a évoqué, en ce 26 juin, l’e-mail envoyé selon AI à cinq responsables dudit ministère.
Un e-mail officiel envoyé par un hacker
Voici donc un rapport prétendument envoyé par fax, n’ayant fait l’objet d’aucun suivi d’envoi ni de réception, et qui n'est jamais arrivé à destination… alors même que le bureau d’AI au Maroc se situe à Rabat, soit dans la même ville que le destinataire du fax, à savoir le chef du gouvernement. N’aurait-il pas mieux valu, pour être sûr de sa bonne réception, le déposer en main propre? Mais la méthodologie de travail adoptée par cette organisation obéit à une logique qui défie la raison.
Le rapport envoyé par fax n’est pas le seul document à s’être visiblement perdu en cours de route. AI argue en effet qu’un courriel contenant ce même rapport, a été envoyé à cinq responsables du ministère d’Etat chargé des Droits de l’Homme.
A en croire Abdelkrim Boujradi, cette nouvelle a étonné tout le monde au sein du ministère. «Ce rapport ne peut pas passer inaperçu de cette manière et à l’insu de cinq responsables. C’est impossible que cela arrive au ministère d’Etat!».
Abdelkrim Boujradi détaille les vérifications de rigueur dans son intervention: «nous avons constaté qu’aucun message n’a été reçu aux adresses électroniques des cinq responsables». S’ensuit un double check, «nous avons par la suite vérifié le système de sécurité informatique du ministère d’Etat»... Suite à quoi «nous avons trouvé un message envoyé par le responsable de l’unité de sécurité informatique auprès d’AI», explique-t-il en référence à Claudio Guarnieri, «une personne identifiée en tant que hacker sur Google», précise-t-il.
Et que se passe-t-il quand un hacker envoie un e-mail à des services gouvernementaux? «Le système de sécurité va l’isoler automatiquement. L’e-mail n’a pas été redirigé vers les spams, mais mis en quarantaine», poursuit le secrétaire général, preuves à l’appui.
«Ce message qui a été envoyé à 1h06 a été mis sur la liste grise. Cela s’inscrit dans le cadre du système de sécurité d’une manière claire. Et nous sommes obligés d’utiliser ce système. Il s’agit non seulement d’une recommandation de la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI), relevant de l’administration de la Défense nationale, mais aussi d’une recommandation de toutes les organisations internationales. Après le transit par la zone grise à 11h06, ce courriel a été mis en quarantaine, à 11h26, puisqu’il a été identifié par le système de sécurité d’information comme provenant d’un hacker, et donc considéré comme très dangereux», conclut-il au terme de son rapport technique.
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Zéro respect des usages et une bonne dose d’amateurisme
AI a envoyé à un chef de division au sein du ministère en charge des Droits de l’Homme un courriel adressé au chef du gouvernement? «C’est une absurdité!», commente le SG sidéré qu’AI, au vu de l’importance de ce rapport, l’adresse à un chef de division pour que celui-ci le transfère au chef du gouvernement.
«Et si le chef du gouvernement voulait que ce rapport reste confidentiel? Et s’il ne souhaitait le partager qu’avec les ministres, et non pas avec les fonctionnaires?», poursuit-il peinant visiblement à comprendre cette manière de faire, qui n’a pas lieu d’être ni au Maroc, ni dans aucun autre pays d’ailleurs.
S’agissant de la teneur de ce mail dévoilé dans un support britannique et dont Le360 livrait une copie dans un précédent article, celui-ci daté du 6 juin 2020, est adressé par Claudio Guarnieri à un certain M. Hachi afin que celui-ci le remette au chef du gouvernement, car selon le responsable du Security lab d’Amnesty, il a rencontré des difficultés à adresser un fax à M. El Othmani.
Mais in fine, ce courriel, resté en quarantaine, contenait-il le fameux rapport? Que nenni, «Amnesty n’a pas joint de rapport dans le courriel», martèle Abdelkrim Boujradi qui précise que ce message contenait «une lettre de 2 pages avec des questions à l’adresse du gouvernement». Mais de rapport, nulle trace…«C’est l’essence même de notre problème avec Amnesty en matière de méthodologie du travail», ponctue-t-il.
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Un cafouillage de trop sur fond de mauvaise foi… ou de mauvaise connexion?
La requête du Maroc pour obtenir des preuves matérielles étant restée sans réponse, le chef du gouvernement a adressé une lettre à cet organisme, plus précisément à la secrétaire générale par intérim d’AI, Julie Verhaar. Mais là encore, des problèmes de réception du courrier ont été mis en avant.
«Amnesty a déclaré qu’elle n’a pas reçu la lettre du chef du gouvernement alors que j’ai été contacté, le matin même, par la directrice adjointe de la région MENA (Heba Morayef)» avance le Abdelkrim Boujradi.
Il explique ainsi que Heba Morayef lui «a indiqué que le siège d’Amnesty à Londres n’a reçu aucune lettre de la part du chef du gouvernement», suite à quoi celui-ci affirme lui avoir «adressé sur Whatsapp, l’accusé de réception (prouvant le contraire)».
Mais malgré cet échange et les preuves apportées par le Maroc de l’envoi de cette lettre, la directrice adjointe de la région MENA s’est fendue d’une missive le 3 juillet, déclarant qu’elle n’avait reçu aucune lettre du chef du gouvernement marocain. Faut-il préciser que celle-ci n’en était pas destinataire?
«Elle aurait pu dire que le gouvernement marocain avait échangé avec AI sans qu’elle ne soit au courant, mais elle ne doit pas nier avoir reçu la lettre du chef du gouvernement dans la mesure où elle a été rendue destinataire de l’accusé de réception le matin et qu’elle a adressé sa lettre le soir, à 17h30», conclut-il enfin au terme de son intervention.