Les changements qui bouleversent le Sahel s’accélèrent. Après la proposition du Maroc de donner accès à l’Atlantique aux pays africains enclavés, trois pays formant l’Alliance des États du Sahel, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, ont annoncé leur retrait immédiat et définitif de la CEDEAO. Quelle lecture faut-il faire de ces événements?
Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Al Ayyam, publié dans son édition actuellement en kiosque, Mohamed Chakir, expert en relations internationales, estime qu’avant d’esquisser une réponse à cette question, il faut relever que derrière ces changements figurent trois facteurs fondamentaux. D’abord la rivalité sino-russo-américaine, élargie d’ailleurs à tout le continent, ensuite la régression de l’influence française dans cette région considérée comme la porte d’entrée de toute l’Afrique et enfin, et c’est le troisième facteur, les changements à la tête des régimes en place dans ces pays.
L’initiative royale peut-elle être également considérée comme un facteur de changement? Selon le spécialiste des relations internationales, cette initiative découle de la stratégie africaine du Maroc lancée il y a plusieurs années, redynamisée à l’occasion de la réintégration du Maroc à l’UA. L’initiative royale s’inscrit donc dans le cadre de son ouverture sur la région de l’Afrique de l’Ouest, dans le sillage du projet intégrateur du gazoduc Nigeria-Maroc, mais aussi en droite ligne de l’alliance stratégique entre le Royaume et les Etats-Unis.
L’une des manifestations de cette alliance est la construction du port Dakhla Atlantique, soutient l’expert cité par l’hebdomadaire. Projet qui, en lui-même, n’a rien de conjoncturel, comme le croit le régime algérien, mais fait partie de la stratégie africaine du Maroc et surtout de la vision atlantique du Royaume qu’il partage avec les Etats-Unis. C’est donc d’une vision globale qu’il est question, qui épouse l’ensemble des pays du flanc atlantique africain et du versant atlantique de l’Amérique.
Bien évidemment, poursuit le spécialiste, le nouveau positionnement du Maroc dans la zone du Sahel aura un impact certain sur la question du Sahara. Cependant, souligne-t-il, le rapprochement entre le Royaume et les pays du Sahel va au-delà de gains diplomatiques sur la question. Et ce, pour la simple raison que la position de ces pays ne va pas grandement impacter l’évolution de ce dossier, surtout depuis la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara et au moment où une position similaire est attendue de la part de la Grande-Bretagne.
La présence du Maroc dans la région du Sahel, dont deux pays en plus de la Mauritanie ont des frontières communes avec l’Algérie, reflète une rivalité régionale ouverte entre les deux voisins, écrit l’hebdomadaire. Une rivalité qui s’est accentuée depuis cette initiative marocaine que le régime algérien considère comme une tentative de lui subtiliser des moyens de pression. Cela d’autant que, poursuit le spécialiste, l’Algérie se considère comme une puissance régionale qui, en toute logique, doit dominer la région. Du coup, l’initiative marocaine est vue comme une tentative de s’emparer de son pré carré.
Bien sûr, insiste l’expert en relations internationales, ce qui se passe entre les deux pays relève d’une rivalité régionale, et le décideur à Rabat saisit une occasion qui lui a été offerte pour étendre l’influence du Maroc dans une région avec laquelle il entretient des relations historiques très profondes. C’est en quelque sorte une tentative de recouvrer une partie de sa profondeur historique dont il a été coupé en raison du différend artificiel autour du Sahara.
L’Algérie ne dispose d’aucune carte de pression sur le Maroc. Le Royaume a de son côté la géographie. Ses relations avec la Mauritanie ne cessent de se renforcer. Et le Maroc est capable de relever le défi de l’intégration régionale et bénéficie de l’appui des puissances internationales.
En somme, conclut l’expert cité par Al Ayyam, il est peu probable que le différend se transforme en guerre ouverte entre le Maroc et l’Algérie. Les deux pays sont conscients des dangers d’un tel conflit armé. Cependant, tout porte à croire que les deux voisins vont continuer à se livrer une guerre froide qui se déroulera sur plusieurs fronts, dont le plus important est celui relatif au Sahara marocain.