Ce mardi 9 juin est une triste journée pour les architectes du Maroc. L'un d'entre eux, Patrice de Mazières, né en 1930 à Rabat, est décédé à l'aube, des suites d'une longue maladie.
Il avait conçu près de 300 bâtiments, publics et privés. L'une de ses dernières réalisations est le Mahaj Riad à Rabat dont il avait dirigé la construction de main de maître, comme nous le confie son épouse Pauline.
Contactés par Le360, plusieurs architectes rendent un ultime hommage au défunt.
Abderrahim Kassou, architecte: "Un témoin de son temps qui part"
Nous avons été attristés d'apprendre le décès de Patrice de Mazières, un grand architecte marocain né à Rabat en 1930. Il est le petit fils d'Adrien Laforgue qui a construit la grande poste de Rabat en 1918. C'est un architecte qui, à partir de 1960, a commencé à exercer associé à Abdeslam Faraoui. A eux deux, ils ont créé une des plus grandes agences d'architectures, qui était basée à Rabat. Il fait partie d'une génération d'architectes qui ont reconstruit la ville avec une architecture pure, assez moderne, qui flirtait avec le brutalisme au début avant de s'affirmer complètement brutaliste durant les années 70. Enormément d'écoles, d'hôpitaux, de bureaux de poste sont construits par cette génération d'architectes, dont de Mazières et Faraoui. Ils ont également été les premiers à ouvrir leurs projets à une collaboration avec les artistes. Par exemple, l'hôtel des gorges de Dadès auquel ont participé des artistes comme Chabaâ et Melehi. On voit de moins en moins cela, maintenant: des architectes qui font appel à des artistes pour des intégrations de l'art à l'architecture. Il [de Mazières] a eu la clairvoyance de remettre ses archives aux Archives du Maroc, plus de 300 projets. C'est un témoin de son temps qui part, et avec lui une page de l'histoire de l'architecture marocaine se tourne. Et c'est un jour très triste pour la profession.
Imad Dahmani, architecte: "Nous avons perdu un grand pilier de l'architecture marocaine"
"Nous avons perdu un grand pilier de l'architecture marocaine. C'est une grande perte pour l'histoire de l'architecture marocaine moderne. Avec son complice et associé Abdeslam Faraoui, ils étaient de grands acteurs de l'architecture au Maroc. Leur activité professionnelle a permis la construction de 350 bâtiments sur tout le territoire marocain. Patrice de Mazières n'est pas simple architecte. Il est issu d'une troisième génération d'architectes. Son grand-père, Adrien Laforgue, avait construit tout le centre de Rabat. Patrice de Mazières a travaillé dans un contexte particulier: celui d'un Maroc qui commençait à construire son pays. Il a fait partie d'une jeune génération d'architectes qui ont construit le Maroc indépendant, tout comme Tasteman, Azagury. Il a également construit plusieurs bâtiments à Agadir durant le projet de reconstruction de la ville après le tremblement de terre. L'architecture de Patrice de Mazières et Faraoui était à la fois très moderne et ancrée dans la culture marocaine. Ils ont toujours questionné l'architecture marocaine avec des moyens et des inventions d'aujourd'hui. Ils étaient très portés sur l'architecture brute. C'est ainsi qu'on a pu voir l'utilisation de matériaux locaux, avec un savoir-faire local en faisant appel à des artisans. Une autre dimension très importante, c'est le travail avec des artistes plasticiens qui ont collaboré sur de grands projets. C'était un travail très collaboratif et qui a super bien fonctionné. Nous avons perdu un grand pilier de l'architecture marocaine. Le patrimoine de ces architectures est vraiment en danger. Il faut être plus proche de ce patrimoine pour le préserver. A titre d'exemple, l'hôtel Taliouine que de Mazières a construit est à l'abandon et à n'importe quel moment, il peut être démoli.
Pauline de Mazières, son épouse: "Un monsieur d'une grande élégance"
La seule chose qui l'intéressait c'était l'architecture et il était dedans tout le temps. Abdeslam Faraoui le complétait, car il était communicant et négociateur. Je suis par ailleurs très contente qu'avant son décès il ait remis ses archives aux Archives du Maroc en février 2020. Nous avons trié plus de 300 rouleaux de calques que nous avons remis à l'institution qui a commencé à les scanner et à les numériser pour les mettre à disposition. Au début, il ne voulait rien savoir, il voulait tout brûler. La dernière oeuvre qu'il a réalisée c'est le Mahaj Riad à Rabat au quartier Haj Riad. C'est un projet qu'il a complètement dirigé. Il était le chef d'équipe et s'il n'avait pas été là, je crois que ce projet n'aurait pas vu le jour, car il y avait beaucoup de personnes impliquées et qui ne se mettaient jamais d'accord. Il a bataillé avec le service de l'urbanisme pour déplacer la rue au-delà et le long du Mahaj, positionner les bâtiments et la rue est reportée derrière.
Fikri Benabdellah, architecte: "Nous avons perdu un chantre d'une des plus belles écoles architecturales du Maroc"
De Mazières était issu d'une lignée d'architectes, son père était lui-même architecte. Ce qui caractérisait son travail, c'est une école qui est née dans le sillage du mouvement moderne des années 50 et 60, qualifiée d'école du brutalisme, car elle restitue à l'extérieur de la construction, dans ses morphologies saillantes, la brutalité du béton. Ce n'est plus une structure cachée par les enduits. Elle permet d'exprimer les compositions fortes de chacune de ses constructions. Il a contribué de ses mains à la reconstruction du Grand Agadir, il est l'un des derniers monstres sacrés de cette période. En tant que président de l'association "Rabat, Salé mémoires" je me fais un devoir d'organiser, dés que cette situation sur le plan sanitaire sera derrière nous, une manifestation scientifique pour rendre hommage à son œuvre et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour commémorer sa mémoire.