Casablanca: les «gilets jaunes», rois de la jungle du stationnement

Youssef El Harrak / Le360

Diktats de ces gardiens, parfois pas même autorisés, déficit structurel des places de stationnement, cherté des horodateurs et parkings concédés, laxisme et mauvaise gestion des élus… Le360 a mené l’enquête sur la très bordélique problématique du stationnement à Casa. Un constat accablant.

Le 16/07/2021 à 11h29

Tourner en rond pendant des heures pour trouver une place de parking, payer le prix fort pour garer sa voiture, se faire méchamment harceler par un gardien surgi de nulle part, surnommé «gilet jaune» eut égard à sa nouvelle tenue, qui a remplacé la traditionnelle blouse bleue... Mais contrairement à ceux de France, les gilets jaunes de Casablanca ne contestent rien, ils empochent, parfois de force, des pièces de monnaie sonnantes et trébuchantes, sur le dos des automobilistes de la métropole.

Le calvaire quotidien de ces habitants a atteint son paroxysme. Et leur grogne contre les diktats de ces gardiens de voitures a pris une ampleur telle, qu’une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux sous le hashtag #BoycottMoulGilet.

Plusieurs automobilistes casablancais se plaignent des prix élevés, parfois pratiqués par des faux gardiens qui font régner leur loi en matière de stationnement: 20 dirhams à Dar Bouazza, 10 dirhams à Aïn Diab et 2 dirhams pour chaque arrêt, même si celui-ci ne dure que quelques minutes…

Certains «gilets jaunes» vont jusqu’à se montrer agressifs envers les Casablancais, qui ont le sentiment de se faire littéralement racketter sur la voie publique. De nombreuses réclamations ont été déposées sur les portails Chikaya.ma et CasablancaCity.ma par des usagers, qui en appellent à l’intervention des responsables pour mettre fin à l’anarchie qui règne dans ce secteur parmi les plus opaques.

Autorisations de complaisanceC’est que des gardiens de voiture, on les retrouve partout: dans les grandes artères comme dans les petites ruelles de la métropole. Il en existe des dizaines de milliers, selon les estimations des responsables de la métropole, et il y en a de tous les genres. «Certains présidents d’arrondissement accordent parfois des autorisations à des personnes qui ont des antécédents judiciaires. C’est généralement pour des raisons électorales», souligne Karim Klaibi, élu du Parti authenticité et modernité (PAM) au Conseil de la ville de Casablanca. «Pourtant, ces autorisations doivent être accordées en principe à des personnes considérées comme vulnérables ou à besoins spécifiques ainsi qu’aux orphelins et veuves, selon les textes juridiques», poursuit-il.

Des élus qui contribuent à l’aggravation de cette mauvaise gestion, c’est aussi le reproche que fait Saïd El Mouhtadi, coordinateur général des associations professionnelles de gardiennage de voitures à Casablanca. Pour lui, le népotisme et le clientélisme sont légion dans ce métier. «Certains responsables n’hésitent pas à accorder des autorisations à des membres de leurs familles ou à leurs proches, qui ne s’acquittent même pas de redevances», souligne El Mouhtadi, qui se targue de coordonner les actions de quatre associations de gardiens de voitures.

Un marché pourtant réglementéBien que cette redevance reste symbolique, ne dépassant par les 3 dirhams par mètre et par mois (avec une limitation de 100 mètres par autorisation), «plus de 90% des gardiens de voiture ne paieraient pas le moindre kopeck alors qu’ils s’octroient des concessions dans des emplacements très fréquentés de la métropole», soutient Karim Klaibi.

Pourtant, ce genre de marché est censé être réglementé par les textes législatifs sur les marchés publics. Cependant «aucun marché n’a été attribué à Casablanca depuis 2017, surtout dans des endroits très fréquentés comme le marché aux poissons, Ain Diab ou encore le marché de gros», souligne Saïd Mouhtadi, qui laisse ainsi entendre que les élus tirent profit de cette ambiguïté.

D’ailleurs le sujet est quasiment tabou au sein des instances élues. Le vice-président du maire chargé du transport, Mohamed Bourhim, n’a pas voulu répondre aux nombreuses sollicitations que lui a faites Le360. Quant au président de la commune d’Anfa, Mohamed Chebak, il estime prudemment «que la période électorale est trop sensible pour évoquer le sujet».

Peu de placesAu-delà de la mauvaise gestion des élus, l’anarchie qui règne dans le secteur est favorisée par le manque cruel d’infrastructures de stationnement. Les places de parkings de la métropole sont disproportionnées par rapport au nombre de véhicule qui y circulent. Depuis plusieurs années, le parc automobile et cycliste de Casablanca connaît une croissance exponentielle. Selon les estimations de Aziz Naciri, directeur de la division de l’agence de la sûreté routière (Narsa) à Casablanca, le nombre d’engins roulants dépasse les 850.000 dans la métropole, qui compte 4 millions d’habitants.

© Copyright : Youssef El Harrak - Le360

La rareté des places de parkings favorise l’apparition d’un secteur informel. Il faut en effet aussi compter avec de vrais-faux gardiens qui s’auto-octroient des concessions, des terrains non bâtis, ou encore avec des garages de résidences, qui sont souvent utilisés comme des parkings en sous-location… Le tout, au nez et à la barbe des autorités locales, qui ferment complaisamment les yeux et ne collectent pas de redevances sur ce type d’activités.

Même la création d’une Société de développement local (SDL), Casa Développement, devenue Casa Bay’a (environnement), pour gérer les parkings de la ville n’a pas suffi à résoudre cet épineux problème. Même si plusieurs parkings souterrains sont apparus ces dernières années, leur emplacement reste sujet à critiques.

Karim Klaibi enfonce le clou: «la défaillance en la matière est telle que ces parkings sont parfois situés dans des emplacements non appropriés et restent donc vides». Et de citer l’exemple d’un parking flambant neuf et central, situé boulevard Rachidi, qui totalise 710 places.

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La SDL est surtout critiquée pour un problème fameux: celui des horodateurs. Alors qu’une minorité en appelle à la généralisation de ces machines citadines, le système est décrié pour sa supposée illégalité, surtout quand il s’agit de l'immobilisation du véhicule, en cas de non-paiement ou de dépassement de l’horaire.

«Plusieurs jugements sont venus démontrer l’illégalité de ces horodateurs dans plusieurs villes», nous explique cet homme, l’un des leaders des gardiens de voiture de Casablanca.

Oui, mais «l’immobilisation des véhicules s’effectue sous la supervision de la police administrative qui verbalise chaque contravention selon les modalités de l’arrêté de la fiscalité locale qui fixe le prix du sabot et de la contravention suite à l’immobilisation», rétorque, de son côté, une source autorisée de Casa Bay’a.

Quant aux automobilistes casablancais, ceux-ci considèrent que le tarif horaire (fixé à 2 dirhams) est excessif. D’autant qu’ils ne perçoivent aucun retour d’ascenseur de la part de la communauté, censée collecter et réinvestir les impôts locaux. Autant dire que rien ne tourne plus rond à Casablanca, sauf peut-être les automobilistes, qui cherchent désespérément une place pour se garer…

Par Asmae Hnoud et Fahd Iraqi
Le 16/07/2021 à 11h29