Pendant ce mois sacré du ramadan, nombreuses sont les personnes qui font appel à la générosité des citoyens à travers des collectes de dons, afin d’aider celles dans le besoin. Mais d’autres en profitent pour se faire de l’argent sur le dos des plus vulnérables, allant jusqu'à disparaître après la récolte de ces fonds, privant ces nécessiteux d'une aide indispensable.
Contactée par Le360, Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca et présidente de la commission juridique et fiscale de la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc (CFCIM), nous éclaire sur cette problématique, toujours d’actualité.
«La mise en place d’un cadre juridique pour réglementer ces opérations de collectes de dons s’est avérée primordiale pour éviter toute forme d’escroquerie et de détournement d’argent», explique-t-elle, soulignant que «seules les associations reconnues par l’Etat qui disposent d’un statut juridique, peuvent organiser de telles opérations. Dans le cas des personnes qui agissent en leur qualité personnelle, celles-ci assumeront leur responsabilité juridique, en prouvant que les fonds rassemblés ont été dépensés dans des actes ou opérations spécifiques, ou ont bénéficié aux personnes concernées».
La collecte des dons au Maroc est jusqu’à présent régie par la loi N°004-71 du 12 octobre 1971 relative aux appels à la générosité publique, selon laquelle «il ne peut être organisé, effectué, ni annoncé d’appel à la générosité publique sur la voie et dans les lieux publics ou chez les particuliers par quelque personne et sous quelque forme que ce soit, sans autorisation du secrétaire général du gouvernement».
Ce même texte précise que «par appel à la générosité publique, il faut entendre toute sollicitation adressée au public en vue d'obtenir au profit total ou partiel d'une œuvre, d'un groupement ou de tiers bénéficiaires, des fonds, des objets ou produits, par un moyen quelconque (notamment quête, collecte, souscription, vente d'insignes, fête, bal, kermesse, spectacle, audition) indépendamment des loteries qui sont régies par des textes qui leur sont propres».
Lire aussi : Fraudes aux soins et escroquerie: huit personnes, dont le patron d'une clinique, arrêtées à Casablanca
Toutefois, le Conseil du gouvernement a approuvé en novembre 2018 le projet N°18.18 relatif à l’organisation des appels à la générosité publique et la distribution d’aides à des fins caritatives. L’objectif étant de renforcer un arsenal qui date de 1971 devenu obsolète, de couper court aux malveillants, et de prémunir contre l’instrumentalisation des opérations à d’autres fins que celles relatives au soutien des plus nécessiteux, et de mieux organiser ces campagnes de distribution des aides à des fins caritatives.
Ainsi, le projet de loi dispose de soumettre l’ensemble des opérations de collecte de dons auprès du public aux dispositions de cette loi à l’exception des opérations de collecte de dons suivant les méthodes traditionnelles et coutumières, de déterminer les conditions d’appels à la générosité publique, de cerner les parties qui y font appel, de déterminer les règles régissant l’organisation des opérations de collecte et des façons de les utiliser, et les conditions et règles de distribution des aides à des fins caritatives.
S’ajoutent à celles-ci, l’obligation de déposer les sommes d’argent collectées à travers les dons dans des comptes bancaires, de soumettre la partie organisatrice de l’opération de collecte de dons à l’obligation de communiquer à l’administration un rapport détaillé autour de l’action organisée et de déclarer, à l’avance, toutes les opérations de distribution d’aides à des fins caritatives au gouverneur de la préfecture ou de la province au sein de laquelle elles sont prévues.
Pour Nesrine Roudane, «ce projet de loi semble plus adapté que la loi du 12 octobre 1971, dans la mesure ou il élargit le champ des organismes aptes à faire des appels publics de dons. Il met aussi en place des contrôles administratifs plus strictes selon la nature et l’organisateur de l’appel public de dons. D’autant plus qu’il augmente la somme des amendes de certaines infractions de 200 dirhams à 20.000 dirhams, et d’autres de 10.000 dirhams et 500.000 dirhams».
La loi N°004-71 datant de 1971, composée seulement de sept articles, est obsolète face aux changements organisationnels et procéduraux des appels à dons publics.
Lire aussi : L’Intérieur pourchasse les mafias de la collecte des dons
«Ne mettant pas en place les spécificités nécessaires au bon déroulement de ces dons, le projet de loi 18.18 ne comble pas non plus totalement ce vide juridique avéré, spécialement en ne prenant pas en considération le progrès technologique et la dématérialisation de l’opération d’appels publics de dons, comme les opérations lancées sur les réseaux sociaux, e-banking voir même néo-banking», avance la juriste.
Et d’ajouter: «il faut que les procédures administratives d’ouverture de la collecte de dons et leur recueil soient clairement établis de façon à garantir le contrôle, mais aussi la flexibilité nécessaire pour le bon déroulement de l’opération».
S’agissant de la peine encourue en cas de violation de la loi et d’usage de ces fonds à des fins personnelles, l’article 6 de la loi de 1971 précise «que tout appel à la générosité publique annoncé, organisé ou effectué dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article premier, en vue de l'indemnisation des amendes, frais, dommages-intérêts, prononcés par des condamnations judiciaires en matière criminelle ou délictuelle, sera puni de l'emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 1.000 à 100.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement».
Ces peines peuvent bien évidemment varier selon la nature de l’infraction et peuvent aller à cinq ans de prison ferme dans certaines situations.
Finalement, une refonte de la loi est nécessaire pour remédier aux dysfonctionnements du cadre légal actuel «afin d’apporter plus de transparence et d’efficacité pour le déroulement des opérations de dons, mais aussi pour prendre en considération les changements sociétaires tout en évitant les pratiques peu loyales voire illégales», conclut l’avocate.