Samedi dernier, 12 février 2022, devant la menace d'une invasion russe, l’ambassade du Maroc à Kiev a recommandé aux ressortissants marocains de quitter l’Ukraine, mais ces futurs médecins, ingénieurs ou architectes se sentent aujourd’hui pris au piège de leur université, qui leur refusent une formation à distance et les menacent de renvoi s’ils regagnent leur patrie. Contactés par Le360, ils disent tout leur désarroi.
En effet, ce sont des milliers d’étudiants marocains qui ont choisi l’Ukraine pour leurs études universitaires. Aujourd’hui, ils se retrouvent dans un pays sous la menace d'une guerre avec la présence massive d'unités militaires russes, qui manœuvrent près des frontières ukrainiennes.
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«Je suis en Ukraine depuis deux ans, je vis à Poltava. Avec tout ce qu’on voit dans les médias sur les risques de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, je suis inquiet. Ma famille par contre est en panique, mon téléphone ne s’arrête pas de sonner, j’ai des appels et des messages de mes parents à longueur de journée. Ils n’attendent qu’une chose, c’est que je rentre au Maroc sain et sauf», raconte Marouane au téléphone.
Comme des milliers d’autres Marocains, cet étudiant en ingénierie informatique s'est retrouvé aujourd’hui face à un dilemme: rentrer au Maroc, et prendre le risque d’être renvoyé de l’université où il est inscrit, et donc de perdre des années de formation... Ou rester en Ukraine, où une potentielle guerre n'est pas exclue. «Je ne veux pas sacrifier des années d'études, d'efforts et de dépenses. C'est le cas de la plupart des étudiants ici. On préfère rester jusqu'à ce que la situation devienne critique et qu’il n'y ait plus de choix. Ça peut paraître irresponsable, certains pensent que nous jouons avec nos vies, mais à ce jour, il n'y a aucun signe de panique, ni de peur chez les Ukrainiens. La vie continue normalement», explique-t-il.
Selon Marouane, «on ne veut pas prendre le risque de devoir tout recommencer à zéro. Les universités refusent qu’on étudie à distance et nous menacent de renvoi. On aimerait bien que l’ambassade du Maroc puisse intervenir pour trouver un accord avec les universités ici, pour pouvoir poursuivre nos études en ligne et avoir la garantie de reprendre les bancs de l’université à notre retour dès que la situation se dégagera».
Un sacrificeWahid est arrivé il y a à peine un an sur le sol ukrainien. Il attend aujourd'hui sa carte de résidence. «C’est ma première année en Ukraine, je viens de demander ma carte de résidence. Si je retourne au Maroc, je ne l’aurai pas et je perdrai, en plus de mon année d’étude, tout ce que j’ai déboursé pour pouvoir venir. Les universités ont été très claires et sans pitié: tout étudiant qui regagne son pays et n’assiste pas aux cours sera immédiatement renvoyé. Je ne peux pas prendre le risque de rentrer, mes parents ne peuvent pas se permettre de payer mes frais de scolarité à nouveau, c’est déjà beaucoup de sacrifices la première fois».
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«Je ne peux pas nier que nous avons peur aujourd’hui. Risquer la guerre dans un pays étranger est juste inimaginable. Nous voulons tous rejoindre notre pays et être au plus près de nos familles. Si nous avions la certitude de pouvoir continuer nos études à notre retour, aucun étudiant marocain ne passerait une minute de plus sur le sol ukrainien», confie le jeune étudiant, la voix pleine d'émotion.
Omar, lui, ne s'est pas posé beaucoup de questions. Il s’apprête aujourd’hui même à prendre un vol de rapatriement vers le Maroc, malgré ce grand sacrifice qu’il va peut-être devoir faire. «Je suis en quatrième année de médecine à l'Université médicale nationale d'Odessa. J’ai dû dépenser près de 400.000 dirhams, depuis que je suis arrivé en Ukraine. Aujourd’hui, je laisse tout derrière moi et je rentre au Maroc. Je ne sais pas si je vais pouvoir reprendre mes études ou pas. A ce jour l’université refuse le distanciel et exige notre présence. Ça n’a pas été facile pour moi de prendre cette décision, mais je le fais avant tout pour mes parents. Ça fait plusieurs jours que ma mère est en pleurs au téléphone, elle ne dort plus».
Pris au piègeEtudiant en deuxième année de médecine à Odessa dans le sud de l’Ukraine, Nizar, lui, se sent impuissant face à ce qui ressemble à un chantage des universités ukrainiennes: «nous sommes plus de 10.000 étudiants marocains en Ukraine, la deuxième communauté étrangère ici. Les frais de scolarité varient entre 20.000 et 60.000 dirhams l’année, sans parler du loyer et des autres frais. Les étudiants marocains sont aujourd’hui un véritable levier économique pour les villes ukrainiennes et nous avons l’impression d’être pris au piège. Les universités nous mettent la pression pour ne pas quitter le pays».
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Pour son avenir, Nizar veut rester patient et voudrait d'abord y voir plus clair. «Je n’ai toujours pas pris de décision. J’attends d’avoir plus de visibilité pour ne pas prendre beaucoup de risques pour mes études, mais si je n’ai aucune visibilité dans les quelques jours qui viennent et que la menace d'une guerre persiste, je vais devoir tout laisser tomber et rentrer au Maroc».
Un autre obstacle a privé jusqu'ici certains étudiants de regagner leur pays. La situation sanitaire actuelle, et les conditions d’embarquement qui ont été décidées empêchent les étudiants non-vaccinés de prendre leur vol de retour. Pour Brahim, 25 ans, qui vit aujourd’hui à Kharkiv, deuxième plus grande ville d’Ukraine, à 40 km de la frontière russe, «ça fait sept ans que je suis en Ukraine, c’est ma dernière année d’étude d’architecture. J'ai déjà obtenu l'agrément de l'université, mais je ne peux toujours pas rentrer au Maroc parce que je ne suis pas vacciné. Ici la vaccination n’est pas obligatoire, je n’ai donc pas pensé à le faire plus tôt et je n’ai plus assez de temps. Il faut plus de 20 jours pour avoir les deux doses».
Brahim est lui aussi très inquiet: «je n’ai jamais imaginé qu’en quittant le Maroc je me retrouverai un jour face à un risque de guerre, ma famille aussi est très inquiète. S’il n'y avait pas la contrainte du vaccin, je serais arrivé dans le prochain vol. J’espère que les autorités au Maroc pourront faire une exception pour nous, en annulant la condition vaccinale. Nous ne demandons rien d’autre que des facilités d’embarquement».