Essaouira est de ces villes, de nature à induire en erreur. Son tempérament calme, son atmosphère contemplative et son climat doux en période estivale font parfois oublier les fortes rafales de vent qui peuvent frapper en cette période de l’année.
Un attribut que la cité portuaire partage avec ses habitants, qui semblent à première vue plutôt discrets, voire, éduqués, un peu trop, au respect du statu quo. C’est d’ailleurs l’argument avancé aux habitués de la destination qui, au lendemain de la crise sanitaire, venaient aux nouvelles d’une population fortement dépendante de la manne touristique.
Mais prendre la résilience des Souiris pour de l’indifférence, c’est mal connaître la cité des alizés et ses habitants. Essaouira est, certes, une ville dortoir pour les pêcheurs dont l’essentiel de l’activité se passe en mer, pour les opérateurs touristiques dont le volume d’affaires demeurent intimement lié aux déplacements effectués à Marrakech, mais c’est oublier les cadres, fonctionnaires, intellectuels, écrivains, et autres activistes qui y résident, et qui, dans bien des cas, se tournent vers les réseaux sociaux pour exprimer leur indignation.
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Dans l’esprit collectif, l’ancienne Mogador demeure le berceau de l’art et de la culture. Mais depuis peu, ce postulat est mis à mal par des voix qui s’élèvent sur les réseaux sociaux et s’interrogent sur l’espace qu’occupe l’économie du savoir dans une ville encensée pour sa diversité culturelle.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Essaouira, ville reconnue pour ses nombreuses initiatives culturelles d’envergure -tant au niveau local qu’à l'international- n’a, à l’heure qu’il est, guère de bibliothèque... «Réputée pour être le fief de la culture, Essaouira se cantonne aux dizaines de festivals organisés tous les ans et ne dispose pas, en l’état actuel, de complexe culturel», s’indigne Abderahman Cheffa, acteur associatif basé à Essaouira.
Pourtant, cela fait plus de 30 ans que la culture est placée au centre du projet de développement de la ville. Une ambition confortée par la réalisation de la Cité des Arts et de la Culture, dont le projet fut lancé en janvier 2020 par le Souverain dans l’optique d’y préserver les arts traditionnels, de valoriser le théâtre, la musique et la littérature.
Ceci dit, en dépit des circonstances, nul ne peut nier le fort attrait pour la lecture. Dans l’un des cafés littéraires de la ville, adultes et adolescents délaissent leur smartphones pour dévorer une dystopie orwellienne, s’initier à une introduction à la pensée d’Antonio Gramsci, ou pour revisiter un classique de Noam Chomsky… Des clubs de lecture organisent souvent des débats autour des problématiques qui minent le fonctionnement de la société et de l’économie, ce qui dénote d’un certain intérêt pour la politique et la gestion de la chose publique.
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Mais la mobilisation de la société civile se cantonne, concrètement, à quelques initiatives privées et il n’y a pas de quoi assouvir la soif de savoir d’un public plus large.
En cela, la fermeture du seul espace associatif culturel et artistique, sise avenue Lalla Aicha, depuis quelques années déjà, hypothèque l’avenir de la population estudiantine… A en croire un membre du conseil municipal ayant exigé l’anonymat, le complexe «n’aurait pas encore atteint un niveau d’équipement satisfaisant». En cause, le manque de moyens logistiques et financiers qui a incité le conseil municipal à trouver un partenaire pour la gestion de l’établissement sur le long terme.
Après moult réunions, et une tentative de rapprochement avortée avec la fondation Ali Zaoua, un accord aurait été trouvé, courant mai, avec le ministère de la Culture, pour assurer la rénovation complète du complexe culturel municipal et dont le montant avoisine les «3 millions de dirhams répartis entre rénovation et achat d’équipement pour la salle de théâtre, la bibliothèque ainsi que la salle informatique».
Selon nos sources, les travaux entamés il y a quelques semaines devraient s’étaler sur les six prochains mois, pour une ouverture «prévue pour début 2023».
Cela dit, l’absence d’un lieu garantissant à tout un chacun un accès libre et gratuit aux ressources documentaires et culturelles à Essaouira n’est que l’arbre qui cache la forêt. En attendant la Cité des arts et de la culture, Essaouira demeure aussi sans théâtre et sans cinéma!